vendredi 23 avril 2010

Les larmes du soleil

Il est persque six heures du matin. Le réveil est sur le point de sonner. Je regarde par la fenêtre. "Mais qu'est-ce que c'est que ça?" Là où on peut habituellement voir un morceau de ciel, pâle et terne, se découpe une surface lumineuse et orangée. Est-ce un nouvel auvent, chez le voisin, qui filtre la lumière?





Je me lève et me dirige vers le salon. Oui. C'est bien le ciel... Comprenons-nous bien: il n'est pas légèrement teinté. La coloration est profonde, intense. La couleur de la lumière extérieure contraste de façon étonnante avec celle des tubes fluorescents de la maison. On pourrait penser qu'elle rappelle celle d'un lever de soleil sur la plage. Nullement. En effet, la couleur ne surgit d'aucune direction. Au contraire, c'est vers l'horizon que la couleur diminue d'intensité. Non! Cette couleur-là est due à la poussière. La poussière orange du Burkina, fine et facilement soulevée par le vent. Le ciel en est chargé, suite aux vents intenses de la nuit dernière. Je retourne dans la chambre. Mon épouse est réveillée, mais elle n'a pas encore ouvert les yeux. "Le ciel est orangé", lui dis-je platement. Elle s'approche de la fenêtre et pousse un cri de surprise.


-Est-ce que tu as déjà vu ça? (mon épouse est Nigérienne d'origine, un pays frontalier du Burkina Faso)

-Non...


Bien sûr, il y a l'Harmattan, un vent venu du Sahel, chargé de poussière, qui se lève au mois de février. Mais il n'a jamais changé la couleur du ciel depuis mon arrivée, il y a trois mois.


Je monte sur la terrasse du toit pour prendre une photo. Rien à faire: mon appareil, automatique, corrige la lumière ambiante. Je redescends.


-Marcel dit qu'il n'a jamais vu ça, me dit ma femme.

Marcel est notre gardien de nuit. Il est burkinabé. Quand on se lève, il s'apprête à partir.


Le jour précédant, on avait suspecté la bonne de ne pas avoir fait son travail: les planchers étaient poussiéreux. On comprend maintenant que le phénomène avait déjà commencé. Ce matin, la poussière est partout. On dirait une maison inoccupée, qu'on aurait laissée toutes fenêtres ouvertes. Pourtant, j'avais fermé la plupart des fenêtres cette nuit, réveillé par le vent qui les secouait. Maintenant, nous évitons de marcher pieds nus. Nous laissons des traces de pas au gré de nos déplacements, plus ou moins visibles selon les endroits. Intérieurement, je plains la bonne qui devra passer la journée à nettoyer. La température nous offre une autre surprise, bienvenue celle-là. Il fait presque frais. On est loin des 48 °C à l'ombre d'il y a quelques jours.



Nous cherchons une explication. Ma femme me raconte qu'il y a parfois un vent d'Asie, chargé de poussière, qui s'abat vers l'Afrique. C'est ce qu'elle a vu à la télévision. De mon côté, je touve étrange de songer à un phénomène venu d'ailleurs quand on trouve toute la poussière du monde ici. Dans tous les cas, le caractère inédit du phénomène laisse croire à une autre manifestation des changements climatiques. Les Burkinabés eux-mêmes disent voir maintenant des choses qu'ils ne voyaient pas avant, comme de la pluie en décembre.

Mon épouse me raconte qu'au Niger, le fleuve du même nom s'assèche de plus en plus depuis quelques années. Elle craint éventuellement que le pays ne cesse tout simplement d'exister si les températures continuent d'augmenter. En effet, comment demander à une population de s'adapter lorsqu'elle subit déjà des températures de 50°C à l'ombre? Comment lui demander de s'adapter lorsqu'elle est l'une des plus pauvres du monde? La situation du Burkina Faso n'est guère plus enviable, avec des températures presque aussi élevées, un climat aussi sec et un indice de développement humain semblable, c'est à dire catastrophique. Tristement, les experts nous apprennent que ce sont les pays les plus pauvres qui risquent le plus d'être affectés par les changements climatiques. Cette journée a quelque chose de représentatif. C'est notre bonne qui en subira les désagréments. Nous nous contenterons de manger des sandwich pour lui laisser le temps de tout nettoyer. Nous avons une marge de manoeuvre. Pas la population locale. Vu la dureté du quotidien, pour verser ce nouveau tribut, elle devra puiser dans l'essentiel.

Depuis la publication de ce message, le New York Times a publié un article repris par le Courrier international, en mai 2010, faisant état de nouvelles famines dues à la sécheresse au Niger. Des familles traversent la frontière du Nigéria, plus au sud, pour s'y réfugier. On mentionne que dans les états du nord du Nigéria, les mères de familles déracinées passent de porte en porte pour demander de la nourriture. La famine précédante au Niger remonte à 2005.

mercredi 21 avril 2010

A tombeau ouvert


La documentation fournie par l'organisme de coopération internationale le mentionnait clairement: la principale cause de décès pour les coopérants à l'étranger, c'est la route. Une fois sur place, on comprend.



Tout de suite à l'arrivée, on est frappé par le caractère un peu aléatoire de la route: les voitures roulent surtout à droite. En fait, il semble que les motos n'aient pas le même statut que les voitures. Elles se rangent à droite tandis que les voitures, plus rapides, les contournent par la gauche, en faisant parfois de très grandes embardées. Les véhicules à deux roues sont largement majoritaires mais ce sont surtout des mobylettes. Sans doute ne peuvent-elles pas atteindre la même vitesse que les voitures. Elles-mêmes ne dépassent que rarement les 60 km/h. C'est bien la seule chose qui diminue les risques.



On notera qu'il y a deux genres de voiture: les taxis, toujours en vert au Burkina Faso (blancs au Niger) et presque tous dans un état lamentable, et les voitures des particuliers, la plupart du temps dans un bien meilleur état. En effet, lorsqu'on a assez d'argent ici pour ne pas rouler à moto, on a assez d'argent pour entretenir une voiture. En fait, il ne faut pas un sens de l'observation bien aiguisé pour se rendre compte que les compagnies de taxi achètent les véhicules dont les particuliers veulent se défaire. C'est particulièrement vrai des Mercedes, la voiture de luxe de loin la plus prisée chez les Burkinabés fortunés. Les veilles Mercedes repeintes en vert et transformées en taxi sont légions. Peut-être la fiabilité du moteur la rend-t-elle attrayante? Au Burkina Faso, une voiture roule tant et aussi longtemps qu'il l'est mécaniquement possible. Ainsi, il n'y a rien d'exceptionel à monter dans un taxi dont le tableau de bord est complètement déformé par la chaleur (si on peut encore tourner le volant), dont le pare-brise est craquelé comme une immense toile d'araignée (si le chauffeur peut voir devant lui) ou dont certaines pièces plus "cosmétiques" sont absentes, comme les parois intérieures des portières, laissant ainsi voir les mécanismes qui s'y trouvent (ça n'empêche pas le taxi de rouler). J'ai dû faire repriser des pantalons parce qu'un ressort sortait du siège pour venir me piquer la fesse à chaque fois que je m'enfonçais trop confortablement. J'ai aussi eu à faire circuler une manivelle entre les passagers pour que quelqu'un puisse remonter sa fenêtre. Le chauffeur gardait la précieuse manivelle sur le tableau de bord jusqu'à la prochaine utilisation.

J'ai une fois constaté dans un taxi qu'il n'y avait de rétroviseur ni gauche, ni à droite. J'ai fait part de mon observation au chauffeur.
-Moi, je travaille avec ça, répondit-il. Et celui-ci, de pointer l'endroit où aurait dû se trouver un rétroviseur central!
-Mais, répondis-je, il n'y en a pas!!!
J'ai renoncé, peu après, à tenter de comprendre la logique de mon interlocuteur...

Un chauffeur de taxi m'a appris récemment que pour minimiser les coûts de carburant, certains taxis ici fonctionnent au gaz. En effet, le gaz naturel est ici bien plus abordable que l'essence. Le taximan exprimait une certaine inquiétude, pas très africaine, relativement à la sécurité de ces véhicules.
-Comme il fait chaud, en cas d'accident, ça peut être dangereux en raison des bouteilles de gaz.
-C'est certainement pensé en conséquence, lui répondis-je.
-Non! C'est bricolé maison.
-...
-Les gens les modifient eux-mêmes. ça se fait surtout avec la Peugeot 305.
-De l'extérieur, est-ce qu'on peut dire que le taxi est au gaz?
-Non, il faut ouvrir le coffre pour voir s'il y a des bouteilles.
-Peugeot 305, vous dites?



Les accidents avec les motos sont ici très courants. C'est tellement vrai qu'un chauffeur de taxi m'a dit que si on ne voyait pas d'accidents de motos dans les rues, on n'était pas à Ouagadougou! Les Burkinabés sont bien conscients du danger de circuler à moto. La plupart n'ont cependant pas les moyens de se payer un véhicule à quatre roues. Ils se donneraient plus de chance s'ils circulaient avec un casque. En effet, seule une infime minorité porte le casque. Il convient de mentionner que même les Blancs qui se trouvent de passage n'en portent pas. L'explication se trouve peut-être dans la chaleur du climat, mais j'en doute. Après tout, les motocyclistes ont la vitesse du vent pour se refroidir. Une meilleure explication se trouve probablement dans le manque de visibilité que le casque entraîne. Quand tout le monde se faufile, la vision périphérique est d'une importance vitale. Un bon matin, à bord d'un taxi, je fis part de ces réflexions à mon épouse. Je me disais qu'une campagne de sensibilisation au port du casque serait sans doute une bonne idée de projet pour un coopérant. Le chauffeur, qui écoutait notre conversation, nous dit que le gouvernement avait tenté de rendre le port du casque obligatoire il y a quelques années. Toute personne circulant sans casque se serait vue imposer une amende. Le véhicule aurait pu être saisi. L'initiative avait entraîné un tel mécontentement qu'il avait dégénéré en émeutes. Les gens avaient fait brûler des pneus dans les rues et on avait vandalisé des feux de signalisation! Le coût à défrayer pour l'achat d'un casque aurait été la principale raison du soulèvement selon notre chauffeur. Pour être honnête, on observe ici une insouciance généralisée pour la sécurité. La vie en Afrique est précaire et l'Africain apprend à s'y résigner. Et puis, la sécurité coûte cher. Aussi, il n'est pas rare de voir un taxi rouler à la brunante les phares éteints, pour les économiser. Je ne me gêne pas pour leur demander de les allumer. Certaines motos roulent même la nuit, sans aucun phare. En Afrique, il n'est pas recommandé d'être sourd...



Comme si tout cela n'était pas assez, j'ai eu une étrange vision, il y a quelques jours à Ouagadougou: un enfant d'au plus 11 ou 12 ans, qui faisait la circulation à une intersection! Il faut savoir que le jeune garçon était sans doute un de ces vendeurs de cartes, celles qu'on achète pour ajouter des crédits sur son téléphone cellulaire. Ceux-ci longent les rues et attendent les automobilistes aux feux de circulation. Ils espèrent faire une vente pendant que l'automobiliste attend le feu vert. Ces jeunes vendeurs ont eu l'initiative il y quelque temps de s'acheter des sifflets de et de faire eux-mêmes la circulation en cas de panne d'électricité, très fréquentes à Ouagadougou cette année. Notre agent de la circulation en herbe était simplement un peu plus jeune que la plupart de ses confrères... Notre chauffeur de taxi ne semblait pas surpris de la scène.
-Mais est-ce que les gens lui obéissent?, demandai-je, ahurri.
Il se contenta alors de faire un geste qui voulait dire "Tu vois comme moi!".