J'ai un projet pour l'après-midi: ajouter à notre jardin un grand morceau de bois, façonné par les intempéries. En effet, je travaille depuis quelques temps à aménager un coin de la cour avec une multitudes de plantes et de fleurs. Pour compléter ce petit univers végétal, j'ai en tête un morceau de bois tortueux comme une racine et dépourvu de son écorce, laissant voir les fibres du bois qui s'agitent, sinueuses et parallèles. On retrouve justement ce genre de pièce de bois dans les rues, la plupart du temps une souche, abandonnée sans doute parce qu'elles ne sont pas faciles à couper.
Une petites marche dans le quartier me permet de trouver ce que je cherche. En fait, j'avais remarqué le morceau il y a plusieurs mois, abandonné en pleine rue, au pied des murs qui délimitent une cour. Je demande à un passant si le morceau appartient à quelqu'un. "Oui, à la dame qui est là..." On me montre du doigt une dame dans la cour, de l'autre côté du muret. Soit. Je lui demande si elle utilise le morceau. Des adolescents viennent traduire. "Oui, ça sert à préparer la nourriture" (comprendre: faire du feu). Elle me dit que je peux le prendre. Très bien. La pièce est trop imposante pour être transportée entière. Je devrai aller chercher une hache.
Je vais chez quelqu'un du quartier que je sais posséder une hache. Son français est approximatif, mais je vois à son regard que le problème pour lui est de comprendre pourquoi diable un Blanc a besoin d'une hache! Je renonce à lui expliquer, en me disant que l'explication le dérouterait davantage. "Je n'en ai pas pour longtemps", lui dis-je. Me voilà donc à retraverser le quartier avec une hache sur l'épaule. Comme la réaction de l'homme aurait dû me le faire comprendre, la vue d'un Blanc qui transporte un outil manuel est, pour les gens du quartier, fort comique. Je décide de ne pas en faire de cas et de prendre tout ça en riant. Pourquoi n'aurais-je pas droit de faire du travail manuel, moi aussi? Une fois devant la pièce en question, je me lance à l'assaut. Le problème, c'est que la hache n'a rien à voir avec ce que nous utilisons en Occident. Le poids de la tête n'est pas balancé de chaque côté du manche, ce qui rend l'outil fort difficile à orienter. En fait, la hache a plutôt la forme d'un "L". Il y a un manche de bois, qui ressemble à celui de toutes les haches, mais la tête en acier qui se projette vers l'avant est presque aussi longue que celui-ci. Pour soulever cet énorme masse de métal au bout du manche, mes poignets doivent fournir un effort de torsion maximal. Je frappe le bois à plusieurs reprises, mais à chaque fois, la lame s'abat sur un point différent. Un adolescent qui m'observe se met à rire, moqueur:"C'est difficile!" Je commence décidément à en avoir assez. Je le pointe du doigt en disant "qu'au Canada, j'ai déjà coupé des arbres, et plus que toi!" Le garçon se tait. Je continue ma besogne. Pendant ce temps, les gens s'attroupent, tout en restant à bonne distance. Ils sourient et échangent des commentaires que je ne peux entendre, et encore moins comprendre. Je suis une curiosité, une bête de cirque. Il est trop tard pour reculer. Si je bats en retraite, les gens du quartier diront que je recule devant l'ardeur du travail, ou que je suis incapable de me servir d'une hache. Non, je dois couper ce morceau coûte que coûte! Les adolescents autour me demandent combien je vais donner en échange. Je décide de diminuer les attentes. "Rien!", répondis-je. "Il n'est à personne." Ils éclatent de rire. Je proteste:"Il est en pleine rue et personne ne s'y intéressait avant que j'arrive! ça fait des semaines que je vois ce morceau de bois traîner par ici." On me dit que la dame s'en sert pour faire la cuisine, que le bois, ça coûte très cher, bla, bla, bla... (Comme raisonne mon africaine de femme, si c'était très cher, ils mangeraient cru!) Je leur dis que la dame avait déjà dit que je pouvais prendre le bois. Malheureusement pour moi, elle semblait avoir changé d'idée, flairant la bonne affaire. Je continue à bucher en me disant qu'en temps voulu, je trouverai bien un terrain d'entente avec elle. Un homme s'approche et se propose pour me donner un coup de main. Je me doute bien qu'il me demandera de l'argent, mais la chaleur est accablante et la hache me fait bien des misères. Puis après tout, c'est une occasion pour le quartier de voir les choses revenir à leur place: le Blanc qui paie plutôt que de faire le dur travail. Il faut bien admettre qu'il manoeuvre la hache mieux que moi. Les adolescents me disent que je devrai payer 15 000 francs CFA (35$ canadiens) pour le morceau. Ce fut à mon tour d'éclater de rire! Quoi! L'équivalent de 2 semaines de travail pour un ouvrier Burkinabé? Pour ce rebus qui traîne! Le morceau est coupé. Je me propose d'en couper un deuxième à partir de la même pièce. Après tout, au train où vont les choses, il semble préférable de ne pas revenir: chaque retour ne ferait qu'augmenter le prix en démontrant mon intérêt. Le travailleur laisse la hache et monte sur sa moto. Il dit quelques paroles en Mooré à l'attention des jeunes qui m'entourent. Il s'agit sans doute du mari de la femme dans la cour. Je leur demande ce qu'il a dit. "Il me faudra payer 10 000 francs CFA pour le morceau (25$ canadiens)." L'homme quitte. Le prix semble final. Je tente de négocier mais on semble convaincu de pouvoir m'escroquer un bon montant. Après tout, ils m'ont vu revenir et transpirer à grosses gouttes pour ce que je convoite. Les corbeaux flairent la bonne affaire... "Si c'est comme ça, on oublie tout!", leur dis-je. A ma grande surprise, mes interlocuteurs semblent parfaitement à l'aise avec cette proposition. Je n'arrive pas à croire qu'ils ne soient pas prêts à baisser le prix pour quelque chose qui ne vaut presque rien. Pourquoi ne pas diminuer le prix à un niveau raisonnable plutôt que de risquer de voir une bonne affaire leur glisser des mains? Puis, je comprends: ils ont fait forcer le Blanc pour rien! Ils l'ont bien faient chier. Ils ont pu exercer un pouvoir sur lui. Je suis furieux mais je me garde de leur donner cette victoire en le montrant. Je tourne les talons et repart avec mon outil. Bande de petits merdeux! Bande de petites merdeux! Ils préfèrent perdre de l'argent! Ils se paient un plaisir! Leur logique veut que, comme eux ne peuvent rien se payer, pour une fois, ce sera le Blanc qui n'aura rien... à moins d'accepter d'être escroqué.
Ce n'était pas la première fois où j'étais confronté à une situation semblable. En fait, j'aurais dû voir venir. Ma femme m'avait même averti que même quelque chose dont on veut se débarrasser risque de n'être cédé qu'à gros prix à un Blanc. Soudainement, j'avais envie de traverser le quartier en limousine sans saluer qui que ce soit. Comme le disait un Français que j'ai connu ici, on ne s'intègre qu'en surface. Les contacts restent cristallisés autour de l'argent, implicitement ou explicitement. Il y a deux mondes, différents et inégaux, et nous sommes forcés de choisir auquel nous appartenons. Ainsi, on peut soit distribuer son argent et devenir aussi pauvre qu'eux-et passer pour naïf à leurs yeux, ou repousser le pauvre de son côté de la clôture. (Payer quelqu'un 1/20 de mon salaire? Non, c'est trop! Je vais trouver quelqu'un d'autre, moins cher.)
Confronté à son impuissance et son infériorité, le pauvre accumule la rancoeur. Malheur au Blanc que l'on prend en faute: tel un paratonnerre, il servira d'exutoire à toute cette charge accumulée. Ainsi, ma femme avait craint d'être lynchée après un accident où elle accompagnait un Blanc au volant de sa voiture. En descendant du véhicule, ils avaient commis l'erreur d'affirmer haut et fort qu'ils n'étaient pas responsables de l'accident au lieu de d'abord s'informer de l'intégrité physique des personnes dans l'autre véhicule. C'en était trop, semble-t-il, pour ces gens qui ne peuvent se payer des soins de santé et sans assurance aucune. De surcroit, ils voyaient ce Blanc accompagné d'une jolie Africaine, , bien plus jeune, commme c'est très souvent le cas ici. A ce sujet, il est intéressant de noter que notre ONG nous a fait parvenir récemment un avertissement disant qu'en cas d'accident de la route, il fallait commencer par s'enquérir de l'état des personnes dans l'autre véhicule...
Ces sentiments s'appaisent seulement devant la possibilité du gain. C'est ainsi que le pauvre finit par accepter le riche: comme une ressource, une relation d'affaires. On met de côté sa rancoeur pour les besoins de la cause. Combien de fois avons-nous cru à l'amitié de quelqu'un pour ensuite nous rendre compte que nous étions ses instruments? Nous sommes à blâmer pour notre naïveté, toute nord-américaine. Les Européens sont bien plus méfiants.
Comment espérer que quelqu'un dans la misère soit à l'aise avec nos privilèges? Tout de même, j'avais perçu moins de ressentiment lors d'un voyage au Costa Rica. J'avais interprété plusieurs de leurs attentions comme étant mercantiles pour ensuite constater que je m'étais trompé. Il faut dire que le Costa Rica est plus riche. Et puis, certains pays africains semblent pires. Ainsi, quelqu'un qui avait beaucoup voyagé en Afrique, me raconta qu'au Tchad, tout contact avec la population locale prend des allures de lutte de classe. Les étrangers, surtout des Occidentaux, peuvent tout de même se féliciter d'offrir des conditions de travail et des salaires supérieurs à ceux qui sont offerts habituellement. De ce fait, ils contribuent positivement à l'économie locale et poussent les salaires vers le haut. Le problème, c'est aussi que, ce qui limite la population au Burkina Faso comme ailleurs en Afrique, ce n'est pas la planification familiale, mais la mortalité infantile. Le pays est pratiquement un désert, sans ressources aucunes, à l'exception de quelques mines. Pourtant, on cherche toujours à avoir une famille nombreuse sans avoir de quoi la nourrir. (Allah nourrira ma famille!) Ce mode de vie est intenable. Quand on confronte les gens sur cette disparité entre les ressources et la croissance démographique, on évoque... l'émigration vers l'Occident, pour rééquilibrer les choses!
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"Vous ne pourrez pas atteindre leurs coeurs"
"Peu importe si vous les traitez bien, si vous les considérez, si vous leur donnez des conditions de travail inégalées dans ce marché de l'emploi, il n'hésiteront pas à vous poursuivre devant la justice Burkinabé pour de l'argent facile, même si les raisons invoquées sont un pur mensonge." C'est ainsi qu'un Canadien, à Ouagadougou depuis près de 20 ans, décrit la relation avec ses employés burkinabés. "Vous ne pourrez pas atteindre leurs coeurs", me dit-il, d'un air grave et sincère. Il nous dit ce que nous avions déjà entendu: les étrangers doivent se protéger en faisant signer un contrat à l'employé. Les conditions de travail doivent y être clairement stipulées et on doit faire signer des reçus pour les sommes payées. En effet, devant un tribunal local, le Blanc a bien peu de chances; Il n'inspire aucune sympathie.
Suivant la même logique, il est pratique courante pour une bonne de fausser le prix des articles qu'elle achète pour empocher la différece. Il est impossible de prendre la bonne en défaut si elle est prudente et intelligente. Ce n'est souvent pas le cas. Ainsi, une bonne nous avait facturé 2 kilos de viande de boeuf. Nous avons pris la viande congelée pour la faire peser chez le marchand du coin. Le paquet ne pesait que 1,5 kg. Même chose pour le poisson. C'était à croire que les marchands de Ouaga avaient tous un problème de balance! Confrontée, la bonne nia avec véhémence. Ses mains qui tremblaient et son regard qui fuyait finissaient de la trahir. En fait, des ratures sur une liste d'épicerie avait commencé à semer le doute dans nos esprits. La viande, presque immangeable tant elle était dure, avait créer une situation où il fallait intervenir. Le fait que la viande ait été rangée au fond du congélateur et que la liste des prix ne nous ait été remise que 2 jours après les achats, nous ont amenés à faire peser les paquets. Dans ce cas-ci, la bonne avait laissé tant de pistes qu'elle nous prenait presque pour de parfaits idiots!
Il y eut cet homme, venu cogner à notre porte le soir. Il disait être notre voisin proche et vouloir se rendre au site de la mine le lendemain matin, mais ne pas avoir assez d'argent pour prendre l'autobus. Il prétendait avoir été averti par son frère, qui y travaille, que de nombreux ouvriers seraient engagés le lendemain matin. L'homme semblait sincère. Son histoire était plausible. Déjà trompés et trahis plusieurs fois, nous avions convenus d'être plus prudents. Ainsi, nous nous consultâmes avant de donner à l'homme quoi que ce soit. Je revins vers lui. Je lui dit qu'avant d'aider quelqu'un, je voulais savoir qui j'allais aider. Je lui demandai donc de nous conduire à sa famille, ce qui est une approche très courante ici. Il accepta, mais une fois le seuil de la cour franchi, il nous expliqua qu'il n'était pas notre voisin, mais que le reste de son histoire était vraie. Nous avons demandé de parler à son frère au téléphone, celui qui travaille à la mine. Ce n'était pas possible. Finalement, il m'a mis en contact avec celle qu'il prétendait être sa femme. Au téléphone, elle m'a dit que le monsieur était seulement le père de son enfant, et qu'elle n'avait pas revu notre bonhomme depuis belle lurette!
dimanche 22 août 2010
jeudi 5 août 2010
Au studio, en Afrique
Les secrétaires à qui j'enseigne l'anglais ont demandé des outils pour pratiquer, pendant leurs vacances. Nous avons convenu de graver un CD avec des dialogues. Elles pourraient pratiquer la prononciation ainsi que quelques expressions clé. J'ai les dialogues en main. Le gestionnaire de la boîte qui m'engage nous emmène au studio, la narratrice et moi-même. Elle a été engagée pour me donner la réplique lors de lenregistrement des dialogues. C'est une traductrice Burkinabée qui a étudié au Ghana, pays anglophone, frontalier du Burkina Faso. Le studio a été réservé pour la journée.
Sur place: surprise! Un artiste est déjà au micro à chanter un thème religieux:"Gloire à Jésus, gloire à Allah, seigneurs de l'univers!" Bon. Je suppose qu'en Afrique, on cherche à exploiter l'équipement au maximum. On ne semble pourtant pas pressé de faire sortir le chanteur. L'efficacité n'est pas une valeur ici. Les bonnes relations priment. Tout de même, on nous fait attendre quelques minutes en plein soleil. Notre gestionnaire en fait la remarque. On veut pouvoir entrer! Le chanteur finit par partir. On apporte des chaises. Le studio est exigü et est construit en trois pièces qui se succèdent. La première où on pénètre semble contenir du matériel défectueux, empilé ici et là. La deuxième pièce contient la console reliée à un ordinateur. Derrière la console, se trouve une baie vitrée où on voit l'intérieur de la troisième pièce. Un micro s'y trouve. On devine que c'est là qu'on devra faire les dialogues. Autour de la console, on est à l'étroit mais à tout le moins, le matériel électronique rassure. Le nombre de boutons de contrôle impressionne. Il laisse entrevoir un résultat professionnel, proche de celui que l'on aurait en Occident. On place trois chaises autour de la table. Une fois tout le monde assis, il n'y a plus de place pour circuler. Presqu'immédiatement, on constate que la température est suffocante. Déjà, en chemin, la journée s'annonçait chaude: dans les quarante degrés. On se rend vite compte qu'à l'extérieur du studio, la température est confortable quand on a passé quelques minutes autour de la console. Un petit ventilateur se trouve au plafond. On demande au technicien de l'allumer. La salle où se fera la prise de son inquiète: n'y a-t'il pas de ventilation à l'intérieur? Non, ça créerait un bruit de fond. N'avez-vous pas l'air climatisé? Non. Le gestionnaire me regarde d'un air inquiet. L'Occidental pourra-t'il tenir le coup? Bon... Ce sera un coup à donner...
Je connais déjà, après 6 mois sur place, les façons efficaces de lutter contre la chaleur. Il me faudra une serviette pour m'éponger la tête et le corps et de l'eau très glacée, à prendre à intervalles réguliers. Notre gestionnaire, toujours d'un soutient irréprochable, nous apporte de l'eau et part nous acheter des serviettes. Nous pénétrons dans la salle d'enregistrement. Du matériel absorbant le son a été collé sur les murs et le plafond. Le travail est fait maison mais ça semble efficace. Dommage que le fil du micro empêche la porte de fermer. On se trouve en plein sauna. Immédiatement, l'eau perle à grosses gouttes sur mon visage et dégoutte par terre. Il doit bien faire dans les 60 degrés celsius! La feuille que je tiens pour les dialogues est vite imbibée autour de ma main. Je repousse les limites du corps au nom de l'aventure! Je me sens comme un étudiant qui prépare un examen de nuit pour la première fois. Je suis un Navy Seal de l'enseignement! A presque 40 ans, je croyais en avoir fini avec ce genre de trip d'égo... Nous avons 8 dialogues à enregistrer. Je vise d'en terminer un avant de sortir pour une pause. C'est chose faite. Une fois la narratrice sortie, je remarque que son visage est aussi perlé de sueur que le mien. Pourtant, elle ne semble pas avoir droit aux mêmes égards que moi, l'Occidental aux cheveux gris. Je m'efforce de compenser. Prenez la bouteille d'eau! Il faut boire! Vous n'allez pas tenir la journée! Elle craint de devoir se soulager si elle boit trop. Il est vrai qu'il n'y a pas de toilette à l'occidentale à des kilomètres à la ronde. C'est moins évident pour une fille. Elle boit un peu, presqu'à contrecoeur. Le gestionnaire arrive avec les serviettes. Comme un joueur de hockey sur le banc, je m'épongerai le visage et les cheveux toute la journée en gardant la serviette autour de mon cou.
Le technicien insiste pour que nous enregistrions nos répliques séparément pour ensuite reconstituer les dialogues. Cette méthode permet de traiter chaque voix séparément. Le problème, c'est qu'on se rend vite compte que le montage prend ensuite une éternité. Il faut laisser du temps pour que l'apprenant puisse répéter les phrases. Ainsi, je dois constamment guider le technicien (plus de temps, non c'est trop, moins de temps). Je me rends vite compte qu'à cette vitesse, on prendra plus d'une journée. Je propose d'enregistrer les dialogues à deux, directement, en restant silencieux pour créer les temps de pause. Si des ajustements sont nécessaires, le technicien m'assure qu'on pourra les faire ensuite.
Il est presque midi. J'appelle mon épouse pour qu'elle vienne me sortir de cette fournaise, le temps du dîner. Je sens de toute façon que mon sandwich ne va pas suffire à me nourrir. Je me rappelle un travail d'été à 17 ans où je pelletais dans la vapeur d'une usine. Je passais toute l'heure du midi à manger. ça aussi, je ne pensais pas le revivre. Les travailleurs locaux sont laissés à eux-même. Ils n'auront pas la chance, comme moi, d'être extirpé de cette cuisine de l'enfer, le temps d'un bon repas. Voulez-vous qu'on vous dépose quelque part? Non. Elle mangera sur place. L'heure du dîner sera maximisée de façon à pouvoir me changer de vêtements, prendre une douche, manger, boire et préparer de l'eau glacée. Malgré mon empressement, j'ai pris plus d'une heure. Vite, il faut terminer pour aujourd'hui. Le gestionnaire m'appelle pour savoir où je suis. Oui, j'arrive!
L'après-midi va plus rondement. Vers les quatre heures et demi, nous avons terminé l'enregistrement des dialogues. Le technicien doit terminer les traitements de voix avec l'ordinateur, et nous remettre les CD gravés le lendemain matin. Les CDs seront ainsi remis au client dans les temps.
Jour 2. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous, les deux acteurs-narrateurs, parlions à des volumes différents. Bruit de fond, réverbération, CD illisible, statique... catastrophe! Nous devons rester pour s'assurer qu'ils corrigent tout ça. Le technicien démontre tout au long de la journée une parfaite incompétence. Il semble même paniqué par moments et se confond en excuses, explications, justifications. Son patron semble beaucoup plus à l'aise avec la technique. On ne cesse de le demander à la rescousse. Il ne répond pas au téléphone. En fin de journée, il apparaît pour redisparaître aussitôt, sans avertissement. La colère monte en moi. Je laisse le gestionnaire agir. C'est plus sage. Il représente mon employeur mais surtout, c'est un motivateur expert et un excellent diplomate. Il connaît les moeurs locales. De mon côté, j'ai toutes les peines du monde à rester poli. Le gestionnaire et moi, sans le vouloir, nous engageons dans un dialogue de type "bon flic, mauvais flic" où l'un fait preuve de gentillesse et cherche à comprendre, l'autre plus hostile, applique de la pression. Le patron finit par resurgir. En 2 minutes, il fait plus pour améliorer l'enregistrement que son technicien en 2 heures! Le patron donne quelques conseils au technicien. Voilà. Tout doit être arrangé ce soir. Mon gestionnaire leur explique: s'il y a quelque problème que ce soit, vous pouvez m'appeler jusqu'à minuit. (Non! ça ne sera pas nécessaire! Voyons!)
Jour 3. 9h15 du matin. J'appelle le gestionnaire. Il me dit être resté au studio d'enregistrement jusqu'à deux heures du matin! Malgré tout, il est déjà debout. Il est d'attaque:"On y retourne?" Le coeur n'y est plus, mais je me dis qu'il faut bien que j'assiste à l'accouchement de mon bébé. Le gestionnaire vient me chercher. Tout semble assez bien. Cependant, les leçons 6, 7 et 8 présentent certains problèmes. La voix de la narratrice semble zigzaguer, frémir. Je suis prêt à jeter la serviette. Je ne veux plus parler au technicien qui, de toute façon, n'est jamais sûr de rien. L'enregistrement est compréhensible. Si c'est tout ce qu'on peut faire, tant pis. Le patron revient. Nous lui faisons part du problème. Nous ferons certaines dernières modifications. L'enregsitrement, sans être parfait, sera présentable. Evidemment, nous ne pourrons facturer au client le coût réel de l'entreprise, en heures, en appels téléphonique et autres. Nous aurons compléter le travail pour l'honneur...
Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de ce qui manque cruellement ici: l'éthique de travail, le sens d'une certaine responsabilité, un certain sentiment d'urgence. Il vient un temps où, ce n'est plus une question d'argent. On veut quelqu'un de fiable, qui sache faire le travail. Malheureusement, les collaborateurs de la firme qui m'engage sont presque les seuls contre-exemples que j'aie rencontrés jusqu'ici. C'est la serveuses dédaigneuse, qui vous fait sentir que vous dérangez. C'est le réparateur de climatisation qui n'a pas ses outils. C'est la bonne qui achète de la mauvaise viande avec votre argent, et qui empoche la différence. C'est l'ouvrier qui doit corriger un travail mal fait mais exige d'être payé quand même, tout de suite! Chez un marchant libanais (ils le sont souvent), la procédure pour acheter est des plus compliquées. On vous donne un papier, on vous donne une facture, vous allez payer la facture... Bref, vous vous promenez dans le magasin un peu partout... Pourquoi? A mon avis, parce que les employés volaient les cients, ou le magasin, ou les deux. Comme un ami canadien qui a décidé de se passer de bonne, nous songeons à faire de même. Nous avons presque perdu espoir de trouver quelqu'un qui soit à la fois intègre et compétent. Pourtant les gens cherchent du travail. Ils manquent cruellement d'argent. Les étrangers qui offrent un travail paient bien!
Au moment de repartir, le gestionnaire a fait plusieurs remarques au patron du studio. Venant d'un homme aussi calme, les paroles portaient comme des coups de masse. Pourtant, le principal intéressé ne semblait pas embarrassé. Malgré les pertes de temps, les déceptions, son indisponibilité, l'incompétence de son technicien... C'est lui qui, en fin de compte, a fourni les CDs, contrairement à l'entente initiale. Le gestionnaire m'a plus tard fait savoir qu'ils les avaient facturés au gros prix...
Sur place: surprise! Un artiste est déjà au micro à chanter un thème religieux:"Gloire à Jésus, gloire à Allah, seigneurs de l'univers!" Bon. Je suppose qu'en Afrique, on cherche à exploiter l'équipement au maximum. On ne semble pourtant pas pressé de faire sortir le chanteur. L'efficacité n'est pas une valeur ici. Les bonnes relations priment. Tout de même, on nous fait attendre quelques minutes en plein soleil. Notre gestionnaire en fait la remarque. On veut pouvoir entrer! Le chanteur finit par partir. On apporte des chaises. Le studio est exigü et est construit en trois pièces qui se succèdent. La première où on pénètre semble contenir du matériel défectueux, empilé ici et là. La deuxième pièce contient la console reliée à un ordinateur. Derrière la console, se trouve une baie vitrée où on voit l'intérieur de la troisième pièce. Un micro s'y trouve. On devine que c'est là qu'on devra faire les dialogues. Autour de la console, on est à l'étroit mais à tout le moins, le matériel électronique rassure. Le nombre de boutons de contrôle impressionne. Il laisse entrevoir un résultat professionnel, proche de celui que l'on aurait en Occident. On place trois chaises autour de la table. Une fois tout le monde assis, il n'y a plus de place pour circuler. Presqu'immédiatement, on constate que la température est suffocante. Déjà, en chemin, la journée s'annonçait chaude: dans les quarante degrés. On se rend vite compte qu'à l'extérieur du studio, la température est confortable quand on a passé quelques minutes autour de la console. Un petit ventilateur se trouve au plafond. On demande au technicien de l'allumer. La salle où se fera la prise de son inquiète: n'y a-t'il pas de ventilation à l'intérieur? Non, ça créerait un bruit de fond. N'avez-vous pas l'air climatisé? Non. Le gestionnaire me regarde d'un air inquiet. L'Occidental pourra-t'il tenir le coup? Bon... Ce sera un coup à donner...
Je connais déjà, après 6 mois sur place, les façons efficaces de lutter contre la chaleur. Il me faudra une serviette pour m'éponger la tête et le corps et de l'eau très glacée, à prendre à intervalles réguliers. Notre gestionnaire, toujours d'un soutient irréprochable, nous apporte de l'eau et part nous acheter des serviettes. Nous pénétrons dans la salle d'enregistrement. Du matériel absorbant le son a été collé sur les murs et le plafond. Le travail est fait maison mais ça semble efficace. Dommage que le fil du micro empêche la porte de fermer. On se trouve en plein sauna. Immédiatement, l'eau perle à grosses gouttes sur mon visage et dégoutte par terre. Il doit bien faire dans les 60 degrés celsius! La feuille que je tiens pour les dialogues est vite imbibée autour de ma main. Je repousse les limites du corps au nom de l'aventure! Je me sens comme un étudiant qui prépare un examen de nuit pour la première fois. Je suis un Navy Seal de l'enseignement! A presque 40 ans, je croyais en avoir fini avec ce genre de trip d'égo... Nous avons 8 dialogues à enregistrer. Je vise d'en terminer un avant de sortir pour une pause. C'est chose faite. Une fois la narratrice sortie, je remarque que son visage est aussi perlé de sueur que le mien. Pourtant, elle ne semble pas avoir droit aux mêmes égards que moi, l'Occidental aux cheveux gris. Je m'efforce de compenser. Prenez la bouteille d'eau! Il faut boire! Vous n'allez pas tenir la journée! Elle craint de devoir se soulager si elle boit trop. Il est vrai qu'il n'y a pas de toilette à l'occidentale à des kilomètres à la ronde. C'est moins évident pour une fille. Elle boit un peu, presqu'à contrecoeur. Le gestionnaire arrive avec les serviettes. Comme un joueur de hockey sur le banc, je m'épongerai le visage et les cheveux toute la journée en gardant la serviette autour de mon cou.
Le technicien insiste pour que nous enregistrions nos répliques séparément pour ensuite reconstituer les dialogues. Cette méthode permet de traiter chaque voix séparément. Le problème, c'est qu'on se rend vite compte que le montage prend ensuite une éternité. Il faut laisser du temps pour que l'apprenant puisse répéter les phrases. Ainsi, je dois constamment guider le technicien (plus de temps, non c'est trop, moins de temps). Je me rends vite compte qu'à cette vitesse, on prendra plus d'une journée. Je propose d'enregistrer les dialogues à deux, directement, en restant silencieux pour créer les temps de pause. Si des ajustements sont nécessaires, le technicien m'assure qu'on pourra les faire ensuite.
Il est presque midi. J'appelle mon épouse pour qu'elle vienne me sortir de cette fournaise, le temps du dîner. Je sens de toute façon que mon sandwich ne va pas suffire à me nourrir. Je me rappelle un travail d'été à 17 ans où je pelletais dans la vapeur d'une usine. Je passais toute l'heure du midi à manger. ça aussi, je ne pensais pas le revivre. Les travailleurs locaux sont laissés à eux-même. Ils n'auront pas la chance, comme moi, d'être extirpé de cette cuisine de l'enfer, le temps d'un bon repas. Voulez-vous qu'on vous dépose quelque part? Non. Elle mangera sur place. L'heure du dîner sera maximisée de façon à pouvoir me changer de vêtements, prendre une douche, manger, boire et préparer de l'eau glacée. Malgré mon empressement, j'ai pris plus d'une heure. Vite, il faut terminer pour aujourd'hui. Le gestionnaire m'appelle pour savoir où je suis. Oui, j'arrive!
L'après-midi va plus rondement. Vers les quatre heures et demi, nous avons terminé l'enregistrement des dialogues. Le technicien doit terminer les traitements de voix avec l'ordinateur, et nous remettre les CD gravés le lendemain matin. Les CDs seront ainsi remis au client dans les temps.
Jour 2. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous, les deux acteurs-narrateurs, parlions à des volumes différents. Bruit de fond, réverbération, CD illisible, statique... catastrophe! Nous devons rester pour s'assurer qu'ils corrigent tout ça. Le technicien démontre tout au long de la journée une parfaite incompétence. Il semble même paniqué par moments et se confond en excuses, explications, justifications. Son patron semble beaucoup plus à l'aise avec la technique. On ne cesse de le demander à la rescousse. Il ne répond pas au téléphone. En fin de journée, il apparaît pour redisparaître aussitôt, sans avertissement. La colère monte en moi. Je laisse le gestionnaire agir. C'est plus sage. Il représente mon employeur mais surtout, c'est un motivateur expert et un excellent diplomate. Il connaît les moeurs locales. De mon côté, j'ai toutes les peines du monde à rester poli. Le gestionnaire et moi, sans le vouloir, nous engageons dans un dialogue de type "bon flic, mauvais flic" où l'un fait preuve de gentillesse et cherche à comprendre, l'autre plus hostile, applique de la pression. Le patron finit par resurgir. En 2 minutes, il fait plus pour améliorer l'enregistrement que son technicien en 2 heures! Le patron donne quelques conseils au technicien. Voilà. Tout doit être arrangé ce soir. Mon gestionnaire leur explique: s'il y a quelque problème que ce soit, vous pouvez m'appeler jusqu'à minuit. (Non! ça ne sera pas nécessaire! Voyons!)
Jour 3. 9h15 du matin. J'appelle le gestionnaire. Il me dit être resté au studio d'enregistrement jusqu'à deux heures du matin! Malgré tout, il est déjà debout. Il est d'attaque:"On y retourne?" Le coeur n'y est plus, mais je me dis qu'il faut bien que j'assiste à l'accouchement de mon bébé. Le gestionnaire vient me chercher. Tout semble assez bien. Cependant, les leçons 6, 7 et 8 présentent certains problèmes. La voix de la narratrice semble zigzaguer, frémir. Je suis prêt à jeter la serviette. Je ne veux plus parler au technicien qui, de toute façon, n'est jamais sûr de rien. L'enregistrement est compréhensible. Si c'est tout ce qu'on peut faire, tant pis. Le patron revient. Nous lui faisons part du problème. Nous ferons certaines dernières modifications. L'enregsitrement, sans être parfait, sera présentable. Evidemment, nous ne pourrons facturer au client le coût réel de l'entreprise, en heures, en appels téléphonique et autres. Nous aurons compléter le travail pour l'honneur...
Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de ce qui manque cruellement ici: l'éthique de travail, le sens d'une certaine responsabilité, un certain sentiment d'urgence. Il vient un temps où, ce n'est plus une question d'argent. On veut quelqu'un de fiable, qui sache faire le travail. Malheureusement, les collaborateurs de la firme qui m'engage sont presque les seuls contre-exemples que j'aie rencontrés jusqu'ici. C'est la serveuses dédaigneuse, qui vous fait sentir que vous dérangez. C'est le réparateur de climatisation qui n'a pas ses outils. C'est la bonne qui achète de la mauvaise viande avec votre argent, et qui empoche la différence. C'est l'ouvrier qui doit corriger un travail mal fait mais exige d'être payé quand même, tout de suite! Chez un marchant libanais (ils le sont souvent), la procédure pour acheter est des plus compliquées. On vous donne un papier, on vous donne une facture, vous allez payer la facture... Bref, vous vous promenez dans le magasin un peu partout... Pourquoi? A mon avis, parce que les employés volaient les cients, ou le magasin, ou les deux. Comme un ami canadien qui a décidé de se passer de bonne, nous songeons à faire de même. Nous avons presque perdu espoir de trouver quelqu'un qui soit à la fois intègre et compétent. Pourtant les gens cherchent du travail. Ils manquent cruellement d'argent. Les étrangers qui offrent un travail paient bien!
Au moment de repartir, le gestionnaire a fait plusieurs remarques au patron du studio. Venant d'un homme aussi calme, les paroles portaient comme des coups de masse. Pourtant, le principal intéressé ne semblait pas embarrassé. Malgré les pertes de temps, les déceptions, son indisponibilité, l'incompétence de son technicien... C'est lui qui, en fin de compte, a fourni les CDs, contrairement à l'entente initiale. Le gestionnaire m'a plus tard fait savoir qu'ils les avaient facturés au gros prix...
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