Les secrétaires à qui j'enseigne l'anglais ont demandé des outils pour pratiquer, pendant leurs vacances. Nous avons convenu de graver un CD avec des dialogues. Elles pourraient pratiquer la prononciation ainsi que quelques expressions clé. J'ai les dialogues en main. Le gestionnaire de la boîte qui m'engage nous emmène au studio, la narratrice et moi-même. Elle a été engagée pour me donner la réplique lors de lenregistrement des dialogues. C'est une traductrice Burkinabée qui a étudié au Ghana, pays anglophone, frontalier du Burkina Faso. Le studio a été réservé pour la journée.
Sur place: surprise! Un artiste est déjà au micro à chanter un thème religieux:"Gloire à Jésus, gloire à Allah, seigneurs de l'univers!" Bon. Je suppose qu'en Afrique, on cherche à exploiter l'équipement au maximum. On ne semble pourtant pas pressé de faire sortir le chanteur. L'efficacité n'est pas une valeur ici. Les bonnes relations priment. Tout de même, on nous fait attendre quelques minutes en plein soleil. Notre gestionnaire en fait la remarque. On veut pouvoir entrer! Le chanteur finit par partir. On apporte des chaises. Le studio est exigü et est construit en trois pièces qui se succèdent. La première où on pénètre semble contenir du matériel défectueux, empilé ici et là. La deuxième pièce contient la console reliée à un ordinateur. Derrière la console, se trouve une baie vitrée où on voit l'intérieur de la troisième pièce. Un micro s'y trouve. On devine que c'est là qu'on devra faire les dialogues. Autour de la console, on est à l'étroit mais à tout le moins, le matériel électronique rassure. Le nombre de boutons de contrôle impressionne. Il laisse entrevoir un résultat professionnel, proche de celui que l'on aurait en Occident. On place trois chaises autour de la table. Une fois tout le monde assis, il n'y a plus de place pour circuler. Presqu'immédiatement, on constate que la température est suffocante. Déjà, en chemin, la journée s'annonçait chaude: dans les quarante degrés. On se rend vite compte qu'à l'extérieur du studio, la température est confortable quand on a passé quelques minutes autour de la console. Un petit ventilateur se trouve au plafond. On demande au technicien de l'allumer. La salle où se fera la prise de son inquiète: n'y a-t'il pas de ventilation à l'intérieur? Non, ça créerait un bruit de fond. N'avez-vous pas l'air climatisé? Non. Le gestionnaire me regarde d'un air inquiet. L'Occidental pourra-t'il tenir le coup? Bon... Ce sera un coup à donner...
Je connais déjà, après 6 mois sur place, les façons efficaces de lutter contre la chaleur. Il me faudra une serviette pour m'éponger la tête et le corps et de l'eau très glacée, à prendre à intervalles réguliers. Notre gestionnaire, toujours d'un soutient irréprochable, nous apporte de l'eau et part nous acheter des serviettes. Nous pénétrons dans la salle d'enregistrement. Du matériel absorbant le son a été collé sur les murs et le plafond. Le travail est fait maison mais ça semble efficace. Dommage que le fil du micro empêche la porte de fermer. On se trouve en plein sauna. Immédiatement, l'eau perle à grosses gouttes sur mon visage et dégoutte par terre. Il doit bien faire dans les 60 degrés celsius! La feuille que je tiens pour les dialogues est vite imbibée autour de ma main. Je repousse les limites du corps au nom de l'aventure! Je me sens comme un étudiant qui prépare un examen de nuit pour la première fois. Je suis un Navy Seal de l'enseignement! A presque 40 ans, je croyais en avoir fini avec ce genre de trip d'égo... Nous avons 8 dialogues à enregistrer. Je vise d'en terminer un avant de sortir pour une pause. C'est chose faite. Une fois la narratrice sortie, je remarque que son visage est aussi perlé de sueur que le mien. Pourtant, elle ne semble pas avoir droit aux mêmes égards que moi, l'Occidental aux cheveux gris. Je m'efforce de compenser. Prenez la bouteille d'eau! Il faut boire! Vous n'allez pas tenir la journée! Elle craint de devoir se soulager si elle boit trop. Il est vrai qu'il n'y a pas de toilette à l'occidentale à des kilomètres à la ronde. C'est moins évident pour une fille. Elle boit un peu, presqu'à contrecoeur. Le gestionnaire arrive avec les serviettes. Comme un joueur de hockey sur le banc, je m'épongerai le visage et les cheveux toute la journée en gardant la serviette autour de mon cou.
Le technicien insiste pour que nous enregistrions nos répliques séparément pour ensuite reconstituer les dialogues. Cette méthode permet de traiter chaque voix séparément. Le problème, c'est qu'on se rend vite compte que le montage prend ensuite une éternité. Il faut laisser du temps pour que l'apprenant puisse répéter les phrases. Ainsi, je dois constamment guider le technicien (plus de temps, non c'est trop, moins de temps). Je me rends vite compte qu'à cette vitesse, on prendra plus d'une journée. Je propose d'enregistrer les dialogues à deux, directement, en restant silencieux pour créer les temps de pause. Si des ajustements sont nécessaires, le technicien m'assure qu'on pourra les faire ensuite.
Il est presque midi. J'appelle mon épouse pour qu'elle vienne me sortir de cette fournaise, le temps du dîner. Je sens de toute façon que mon sandwich ne va pas suffire à me nourrir. Je me rappelle un travail d'été à 17 ans où je pelletais dans la vapeur d'une usine. Je passais toute l'heure du midi à manger. ça aussi, je ne pensais pas le revivre. Les travailleurs locaux sont laissés à eux-même. Ils n'auront pas la chance, comme moi, d'être extirpé de cette cuisine de l'enfer, le temps d'un bon repas. Voulez-vous qu'on vous dépose quelque part? Non. Elle mangera sur place. L'heure du dîner sera maximisée de façon à pouvoir me changer de vêtements, prendre une douche, manger, boire et préparer de l'eau glacée. Malgré mon empressement, j'ai pris plus d'une heure. Vite, il faut terminer pour aujourd'hui. Le gestionnaire m'appelle pour savoir où je suis. Oui, j'arrive!
L'après-midi va plus rondement. Vers les quatre heures et demi, nous avons terminé l'enregistrement des dialogues. Le technicien doit terminer les traitements de voix avec l'ordinateur, et nous remettre les CD gravés le lendemain matin. Les CDs seront ainsi remis au client dans les temps.
Jour 2. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous, les deux acteurs-narrateurs, parlions à des volumes différents. Bruit de fond, réverbération, CD illisible, statique... catastrophe! Nous devons rester pour s'assurer qu'ils corrigent tout ça. Le technicien démontre tout au long de la journée une parfaite incompétence. Il semble même paniqué par moments et se confond en excuses, explications, justifications. Son patron semble beaucoup plus à l'aise avec la technique. On ne cesse de le demander à la rescousse. Il ne répond pas au téléphone. En fin de journée, il apparaît pour redisparaître aussitôt, sans avertissement. La colère monte en moi. Je laisse le gestionnaire agir. C'est plus sage. Il représente mon employeur mais surtout, c'est un motivateur expert et un excellent diplomate. Il connaît les moeurs locales. De mon côté, j'ai toutes les peines du monde à rester poli. Le gestionnaire et moi, sans le vouloir, nous engageons dans un dialogue de type "bon flic, mauvais flic" où l'un fait preuve de gentillesse et cherche à comprendre, l'autre plus hostile, applique de la pression. Le patron finit par resurgir. En 2 minutes, il fait plus pour améliorer l'enregistrement que son technicien en 2 heures! Le patron donne quelques conseils au technicien. Voilà. Tout doit être arrangé ce soir. Mon gestionnaire leur explique: s'il y a quelque problème que ce soit, vous pouvez m'appeler jusqu'à minuit. (Non! ça ne sera pas nécessaire! Voyons!)
Jour 3. 9h15 du matin. J'appelle le gestionnaire. Il me dit être resté au studio d'enregistrement jusqu'à deux heures du matin! Malgré tout, il est déjà debout. Il est d'attaque:"On y retourne?" Le coeur n'y est plus, mais je me dis qu'il faut bien que j'assiste à l'accouchement de mon bébé. Le gestionnaire vient me chercher. Tout semble assez bien. Cependant, les leçons 6, 7 et 8 présentent certains problèmes. La voix de la narratrice semble zigzaguer, frémir. Je suis prêt à jeter la serviette. Je ne veux plus parler au technicien qui, de toute façon, n'est jamais sûr de rien. L'enregistrement est compréhensible. Si c'est tout ce qu'on peut faire, tant pis. Le patron revient. Nous lui faisons part du problème. Nous ferons certaines dernières modifications. L'enregsitrement, sans être parfait, sera présentable. Evidemment, nous ne pourrons facturer au client le coût réel de l'entreprise, en heures, en appels téléphonique et autres. Nous aurons compléter le travail pour l'honneur...
Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de ce qui manque cruellement ici: l'éthique de travail, le sens d'une certaine responsabilité, un certain sentiment d'urgence. Il vient un temps où, ce n'est plus une question d'argent. On veut quelqu'un de fiable, qui sache faire le travail. Malheureusement, les collaborateurs de la firme qui m'engage sont presque les seuls contre-exemples que j'aie rencontrés jusqu'ici. C'est la serveuses dédaigneuse, qui vous fait sentir que vous dérangez. C'est le réparateur de climatisation qui n'a pas ses outils. C'est la bonne qui achète de la mauvaise viande avec votre argent, et qui empoche la différence. C'est l'ouvrier qui doit corriger un travail mal fait mais exige d'être payé quand même, tout de suite! Chez un marchant libanais (ils le sont souvent), la procédure pour acheter est des plus compliquées. On vous donne un papier, on vous donne une facture, vous allez payer la facture... Bref, vous vous promenez dans le magasin un peu partout... Pourquoi? A mon avis, parce que les employés volaient les cients, ou le magasin, ou les deux. Comme un ami canadien qui a décidé de se passer de bonne, nous songeons à faire de même. Nous avons presque perdu espoir de trouver quelqu'un qui soit à la fois intègre et compétent. Pourtant les gens cherchent du travail. Ils manquent cruellement d'argent. Les étrangers qui offrent un travail paient bien!
Au moment de repartir, le gestionnaire a fait plusieurs remarques au patron du studio. Venant d'un homme aussi calme, les paroles portaient comme des coups de masse. Pourtant, le principal intéressé ne semblait pas embarrassé. Malgré les pertes de temps, les déceptions, son indisponibilité, l'incompétence de son technicien... C'est lui qui, en fin de compte, a fourni les CDs, contrairement à l'entente initiale. Le gestionnaire m'a plus tard fait savoir qu'ils les avaient facturés au gros prix...
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