J'ai un projet pour l'après-midi: ajouter à notre jardin un grand morceau de bois, façonné par les intempéries. En effet, je travaille depuis quelques temps à aménager un coin de la cour avec une multitudes de plantes et de fleurs. Pour compléter ce petit univers végétal, j'ai en tête un morceau de bois tortueux comme une racine et dépourvu de son écorce, laissant voir les fibres du bois qui s'agitent, sinueuses et parallèles. On retrouve justement ce genre de pièce de bois dans les rues, la plupart du temps une souche, abandonnée sans doute parce qu'elles ne sont pas faciles à couper.
Une petites marche dans le quartier me permet de trouver ce que je cherche. En fait, j'avais remarqué le morceau il y a plusieurs mois, abandonné en pleine rue, au pied des murs qui délimitent une cour. Je demande à un passant si le morceau appartient à quelqu'un. "Oui, à la dame qui est là..." On me montre du doigt une dame dans la cour, de l'autre côté du muret. Soit. Je lui demande si elle utilise le morceau. Des adolescents viennent traduire. "Oui, ça sert à préparer la nourriture" (comprendre: faire du feu). Elle me dit que je peux le prendre. Très bien. La pièce est trop imposante pour être transportée entière. Je devrai aller chercher une hache.
Je vais chez quelqu'un du quartier que je sais posséder une hache. Son français est approximatif, mais je vois à son regard que le problème pour lui est de comprendre pourquoi diable un Blanc a besoin d'une hache! Je renonce à lui expliquer, en me disant que l'explication le dérouterait davantage. "Je n'en ai pas pour longtemps", lui dis-je. Me voilà donc à retraverser le quartier avec une hache sur l'épaule. Comme la réaction de l'homme aurait dû me le faire comprendre, la vue d'un Blanc qui transporte un outil manuel est, pour les gens du quartier, fort comique. Je décide de ne pas en faire de cas et de prendre tout ça en riant. Pourquoi n'aurais-je pas droit de faire du travail manuel, moi aussi? Une fois devant la pièce en question, je me lance à l'assaut. Le problème, c'est que la hache n'a rien à voir avec ce que nous utilisons en Occident. Le poids de la tête n'est pas balancé de chaque côté du manche, ce qui rend l'outil fort difficile à orienter. En fait, la hache a plutôt la forme d'un "L". Il y a un manche de bois, qui ressemble à celui de toutes les haches, mais la tête en acier qui se projette vers l'avant est presque aussi longue que celui-ci. Pour soulever cet énorme masse de métal au bout du manche, mes poignets doivent fournir un effort de torsion maximal. Je frappe le bois à plusieurs reprises, mais à chaque fois, la lame s'abat sur un point différent. Un adolescent qui m'observe se met à rire, moqueur:"C'est difficile!" Je commence décidément à en avoir assez. Je le pointe du doigt en disant "qu'au Canada, j'ai déjà coupé des arbres, et plus que toi!" Le garçon se tait. Je continue ma besogne. Pendant ce temps, les gens s'attroupent, tout en restant à bonne distance. Ils sourient et échangent des commentaires que je ne peux entendre, et encore moins comprendre. Je suis une curiosité, une bête de cirque. Il est trop tard pour reculer. Si je bats en retraite, les gens du quartier diront que je recule devant l'ardeur du travail, ou que je suis incapable de me servir d'une hache. Non, je dois couper ce morceau coûte que coûte! Les adolescents autour me demandent combien je vais donner en échange. Je décide de diminuer les attentes. "Rien!", répondis-je. "Il n'est à personne." Ils éclatent de rire. Je proteste:"Il est en pleine rue et personne ne s'y intéressait avant que j'arrive! ça fait des semaines que je vois ce morceau de bois traîner par ici." On me dit que la dame s'en sert pour faire la cuisine, que le bois, ça coûte très cher, bla, bla, bla... (Comme raisonne mon africaine de femme, si c'était très cher, ils mangeraient cru!) Je leur dis que la dame avait déjà dit que je pouvais prendre le bois. Malheureusement pour moi, elle semblait avoir changé d'idée, flairant la bonne affaire. Je continue à bucher en me disant qu'en temps voulu, je trouverai bien un terrain d'entente avec elle. Un homme s'approche et se propose pour me donner un coup de main. Je me doute bien qu'il me demandera de l'argent, mais la chaleur est accablante et la hache me fait bien des misères. Puis après tout, c'est une occasion pour le quartier de voir les choses revenir à leur place: le Blanc qui paie plutôt que de faire le dur travail. Il faut bien admettre qu'il manoeuvre la hache mieux que moi. Les adolescents me disent que je devrai payer 15 000 francs CFA (35$ canadiens) pour le morceau. Ce fut à mon tour d'éclater de rire! Quoi! L'équivalent de 2 semaines de travail pour un ouvrier Burkinabé? Pour ce rebus qui traîne! Le morceau est coupé. Je me propose d'en couper un deuxième à partir de la même pièce. Après tout, au train où vont les choses, il semble préférable de ne pas revenir: chaque retour ne ferait qu'augmenter le prix en démontrant mon intérêt. Le travailleur laisse la hache et monte sur sa moto. Il dit quelques paroles en Mooré à l'attention des jeunes qui m'entourent. Il s'agit sans doute du mari de la femme dans la cour. Je leur demande ce qu'il a dit. "Il me faudra payer 10 000 francs CFA pour le morceau (25$ canadiens)." L'homme quitte. Le prix semble final. Je tente de négocier mais on semble convaincu de pouvoir m'escroquer un bon montant. Après tout, ils m'ont vu revenir et transpirer à grosses gouttes pour ce que je convoite. Les corbeaux flairent la bonne affaire... "Si c'est comme ça, on oublie tout!", leur dis-je. A ma grande surprise, mes interlocuteurs semblent parfaitement à l'aise avec cette proposition. Je n'arrive pas à croire qu'ils ne soient pas prêts à baisser le prix pour quelque chose qui ne vaut presque rien. Pourquoi ne pas diminuer le prix à un niveau raisonnable plutôt que de risquer de voir une bonne affaire leur glisser des mains? Puis, je comprends: ils ont fait forcer le Blanc pour rien! Ils l'ont bien faient chier. Ils ont pu exercer un pouvoir sur lui. Je suis furieux mais je me garde de leur donner cette victoire en le montrant. Je tourne les talons et repart avec mon outil. Bande de petits merdeux! Bande de petites merdeux! Ils préfèrent perdre de l'argent! Ils se paient un plaisir! Leur logique veut que, comme eux ne peuvent rien se payer, pour une fois, ce sera le Blanc qui n'aura rien... à moins d'accepter d'être escroqué.
Ce n'était pas la première fois où j'étais confronté à une situation semblable. En fait, j'aurais dû voir venir. Ma femme m'avait même averti que même quelque chose dont on veut se débarrasser risque de n'être cédé qu'à gros prix à un Blanc. Soudainement, j'avais envie de traverser le quartier en limousine sans saluer qui que ce soit. Comme le disait un Français que j'ai connu ici, on ne s'intègre qu'en surface. Les contacts restent cristallisés autour de l'argent, implicitement ou explicitement. Il y a deux mondes, différents et inégaux, et nous sommes forcés de choisir auquel nous appartenons. Ainsi, on peut soit distribuer son argent et devenir aussi pauvre qu'eux-et passer pour naïf à leurs yeux, ou repousser le pauvre de son côté de la clôture. (Payer quelqu'un 1/20 de mon salaire? Non, c'est trop! Je vais trouver quelqu'un d'autre, moins cher.)
Confronté à son impuissance et son infériorité, le pauvre accumule la rancoeur. Malheur au Blanc que l'on prend en faute: tel un paratonnerre, il servira d'exutoire à toute cette charge accumulée. Ainsi, ma femme avait craint d'être lynchée après un accident où elle accompagnait un Blanc au volant de sa voiture. En descendant du véhicule, ils avaient commis l'erreur d'affirmer haut et fort qu'ils n'étaient pas responsables de l'accident au lieu de d'abord s'informer de l'intégrité physique des personnes dans l'autre véhicule. C'en était trop, semble-t-il, pour ces gens qui ne peuvent se payer des soins de santé et sans assurance aucune. De surcroit, ils voyaient ce Blanc accompagné d'une jolie Africaine, , bien plus jeune, commme c'est très souvent le cas ici. A ce sujet, il est intéressant de noter que notre ONG nous a fait parvenir récemment un avertissement disant qu'en cas d'accident de la route, il fallait commencer par s'enquérir de l'état des personnes dans l'autre véhicule...
Ces sentiments s'appaisent seulement devant la possibilité du gain. C'est ainsi que le pauvre finit par accepter le riche: comme une ressource, une relation d'affaires. On met de côté sa rancoeur pour les besoins de la cause. Combien de fois avons-nous cru à l'amitié de quelqu'un pour ensuite nous rendre compte que nous étions ses instruments? Nous sommes à blâmer pour notre naïveté, toute nord-américaine. Les Européens sont bien plus méfiants.
Comment espérer que quelqu'un dans la misère soit à l'aise avec nos privilèges? Tout de même, j'avais perçu moins de ressentiment lors d'un voyage au Costa Rica. J'avais interprété plusieurs de leurs attentions comme étant mercantiles pour ensuite constater que je m'étais trompé. Il faut dire que le Costa Rica est plus riche. Et puis, certains pays africains semblent pires. Ainsi, quelqu'un qui avait beaucoup voyagé en Afrique, me raconta qu'au Tchad, tout contact avec la population locale prend des allures de lutte de classe. Les étrangers, surtout des Occidentaux, peuvent tout de même se féliciter d'offrir des conditions de travail et des salaires supérieurs à ceux qui sont offerts habituellement. De ce fait, ils contribuent positivement à l'économie locale et poussent les salaires vers le haut. Le problème, c'est aussi que, ce qui limite la population au Burkina Faso comme ailleurs en Afrique, ce n'est pas la planification familiale, mais la mortalité infantile. Le pays est pratiquement un désert, sans ressources aucunes, à l'exception de quelques mines. Pourtant, on cherche toujours à avoir une famille nombreuse sans avoir de quoi la nourrir. (Allah nourrira ma famille!) Ce mode de vie est intenable. Quand on confronte les gens sur cette disparité entre les ressources et la croissance démographique, on évoque... l'émigration vers l'Occident, pour rééquilibrer les choses!
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"Vous ne pourrez pas atteindre leurs coeurs"
"Peu importe si vous les traitez bien, si vous les considérez, si vous leur donnez des conditions de travail inégalées dans ce marché de l'emploi, il n'hésiteront pas à vous poursuivre devant la justice Burkinabé pour de l'argent facile, même si les raisons invoquées sont un pur mensonge." C'est ainsi qu'un Canadien, à Ouagadougou depuis près de 20 ans, décrit la relation avec ses employés burkinabés. "Vous ne pourrez pas atteindre leurs coeurs", me dit-il, d'un air grave et sincère. Il nous dit ce que nous avions déjà entendu: les étrangers doivent se protéger en faisant signer un contrat à l'employé. Les conditions de travail doivent y être clairement stipulées et on doit faire signer des reçus pour les sommes payées. En effet, devant un tribunal local, le Blanc a bien peu de chances; Il n'inspire aucune sympathie.
Suivant la même logique, il est pratique courante pour une bonne de fausser le prix des articles qu'elle achète pour empocher la différece. Il est impossible de prendre la bonne en défaut si elle est prudente et intelligente. Ce n'est souvent pas le cas. Ainsi, une bonne nous avait facturé 2 kilos de viande de boeuf. Nous avons pris la viande congelée pour la faire peser chez le marchand du coin. Le paquet ne pesait que 1,5 kg. Même chose pour le poisson. C'était à croire que les marchands de Ouaga avaient tous un problème de balance! Confrontée, la bonne nia avec véhémence. Ses mains qui tremblaient et son regard qui fuyait finissaient de la trahir. En fait, des ratures sur une liste d'épicerie avait commencé à semer le doute dans nos esprits. La viande, presque immangeable tant elle était dure, avait créer une situation où il fallait intervenir. Le fait que la viande ait été rangée au fond du congélateur et que la liste des prix ne nous ait été remise que 2 jours après les achats, nous ont amenés à faire peser les paquets. Dans ce cas-ci, la bonne avait laissé tant de pistes qu'elle nous prenait presque pour de parfaits idiots!
Il y eut cet homme, venu cogner à notre porte le soir. Il disait être notre voisin proche et vouloir se rendre au site de la mine le lendemain matin, mais ne pas avoir assez d'argent pour prendre l'autobus. Il prétendait avoir été averti par son frère, qui y travaille, que de nombreux ouvriers seraient engagés le lendemain matin. L'homme semblait sincère. Son histoire était plausible. Déjà trompés et trahis plusieurs fois, nous avions convenus d'être plus prudents. Ainsi, nous nous consultâmes avant de donner à l'homme quoi que ce soit. Je revins vers lui. Je lui dit qu'avant d'aider quelqu'un, je voulais savoir qui j'allais aider. Je lui demandai donc de nous conduire à sa famille, ce qui est une approche très courante ici. Il accepta, mais une fois le seuil de la cour franchi, il nous expliqua qu'il n'était pas notre voisin, mais que le reste de son histoire était vraie. Nous avons demandé de parler à son frère au téléphone, celui qui travaille à la mine. Ce n'était pas possible. Finalement, il m'a mis en contact avec celle qu'il prétendait être sa femme. Au téléphone, elle m'a dit que le monsieur était seulement le père de son enfant, et qu'elle n'avait pas revu notre bonhomme depuis belle lurette!
dimanche 22 août 2010
jeudi 5 août 2010
Au studio, en Afrique
Les secrétaires à qui j'enseigne l'anglais ont demandé des outils pour pratiquer, pendant leurs vacances. Nous avons convenu de graver un CD avec des dialogues. Elles pourraient pratiquer la prononciation ainsi que quelques expressions clé. J'ai les dialogues en main. Le gestionnaire de la boîte qui m'engage nous emmène au studio, la narratrice et moi-même. Elle a été engagée pour me donner la réplique lors de lenregistrement des dialogues. C'est une traductrice Burkinabée qui a étudié au Ghana, pays anglophone, frontalier du Burkina Faso. Le studio a été réservé pour la journée.
Sur place: surprise! Un artiste est déjà au micro à chanter un thème religieux:"Gloire à Jésus, gloire à Allah, seigneurs de l'univers!" Bon. Je suppose qu'en Afrique, on cherche à exploiter l'équipement au maximum. On ne semble pourtant pas pressé de faire sortir le chanteur. L'efficacité n'est pas une valeur ici. Les bonnes relations priment. Tout de même, on nous fait attendre quelques minutes en plein soleil. Notre gestionnaire en fait la remarque. On veut pouvoir entrer! Le chanteur finit par partir. On apporte des chaises. Le studio est exigü et est construit en trois pièces qui se succèdent. La première où on pénètre semble contenir du matériel défectueux, empilé ici et là. La deuxième pièce contient la console reliée à un ordinateur. Derrière la console, se trouve une baie vitrée où on voit l'intérieur de la troisième pièce. Un micro s'y trouve. On devine que c'est là qu'on devra faire les dialogues. Autour de la console, on est à l'étroit mais à tout le moins, le matériel électronique rassure. Le nombre de boutons de contrôle impressionne. Il laisse entrevoir un résultat professionnel, proche de celui que l'on aurait en Occident. On place trois chaises autour de la table. Une fois tout le monde assis, il n'y a plus de place pour circuler. Presqu'immédiatement, on constate que la température est suffocante. Déjà, en chemin, la journée s'annonçait chaude: dans les quarante degrés. On se rend vite compte qu'à l'extérieur du studio, la température est confortable quand on a passé quelques minutes autour de la console. Un petit ventilateur se trouve au plafond. On demande au technicien de l'allumer. La salle où se fera la prise de son inquiète: n'y a-t'il pas de ventilation à l'intérieur? Non, ça créerait un bruit de fond. N'avez-vous pas l'air climatisé? Non. Le gestionnaire me regarde d'un air inquiet. L'Occidental pourra-t'il tenir le coup? Bon... Ce sera un coup à donner...
Je connais déjà, après 6 mois sur place, les façons efficaces de lutter contre la chaleur. Il me faudra une serviette pour m'éponger la tête et le corps et de l'eau très glacée, à prendre à intervalles réguliers. Notre gestionnaire, toujours d'un soutient irréprochable, nous apporte de l'eau et part nous acheter des serviettes. Nous pénétrons dans la salle d'enregistrement. Du matériel absorbant le son a été collé sur les murs et le plafond. Le travail est fait maison mais ça semble efficace. Dommage que le fil du micro empêche la porte de fermer. On se trouve en plein sauna. Immédiatement, l'eau perle à grosses gouttes sur mon visage et dégoutte par terre. Il doit bien faire dans les 60 degrés celsius! La feuille que je tiens pour les dialogues est vite imbibée autour de ma main. Je repousse les limites du corps au nom de l'aventure! Je me sens comme un étudiant qui prépare un examen de nuit pour la première fois. Je suis un Navy Seal de l'enseignement! A presque 40 ans, je croyais en avoir fini avec ce genre de trip d'égo... Nous avons 8 dialogues à enregistrer. Je vise d'en terminer un avant de sortir pour une pause. C'est chose faite. Une fois la narratrice sortie, je remarque que son visage est aussi perlé de sueur que le mien. Pourtant, elle ne semble pas avoir droit aux mêmes égards que moi, l'Occidental aux cheveux gris. Je m'efforce de compenser. Prenez la bouteille d'eau! Il faut boire! Vous n'allez pas tenir la journée! Elle craint de devoir se soulager si elle boit trop. Il est vrai qu'il n'y a pas de toilette à l'occidentale à des kilomètres à la ronde. C'est moins évident pour une fille. Elle boit un peu, presqu'à contrecoeur. Le gestionnaire arrive avec les serviettes. Comme un joueur de hockey sur le banc, je m'épongerai le visage et les cheveux toute la journée en gardant la serviette autour de mon cou.
Le technicien insiste pour que nous enregistrions nos répliques séparément pour ensuite reconstituer les dialogues. Cette méthode permet de traiter chaque voix séparément. Le problème, c'est qu'on se rend vite compte que le montage prend ensuite une éternité. Il faut laisser du temps pour que l'apprenant puisse répéter les phrases. Ainsi, je dois constamment guider le technicien (plus de temps, non c'est trop, moins de temps). Je me rends vite compte qu'à cette vitesse, on prendra plus d'une journée. Je propose d'enregistrer les dialogues à deux, directement, en restant silencieux pour créer les temps de pause. Si des ajustements sont nécessaires, le technicien m'assure qu'on pourra les faire ensuite.
Il est presque midi. J'appelle mon épouse pour qu'elle vienne me sortir de cette fournaise, le temps du dîner. Je sens de toute façon que mon sandwich ne va pas suffire à me nourrir. Je me rappelle un travail d'été à 17 ans où je pelletais dans la vapeur d'une usine. Je passais toute l'heure du midi à manger. ça aussi, je ne pensais pas le revivre. Les travailleurs locaux sont laissés à eux-même. Ils n'auront pas la chance, comme moi, d'être extirpé de cette cuisine de l'enfer, le temps d'un bon repas. Voulez-vous qu'on vous dépose quelque part? Non. Elle mangera sur place. L'heure du dîner sera maximisée de façon à pouvoir me changer de vêtements, prendre une douche, manger, boire et préparer de l'eau glacée. Malgré mon empressement, j'ai pris plus d'une heure. Vite, il faut terminer pour aujourd'hui. Le gestionnaire m'appelle pour savoir où je suis. Oui, j'arrive!
L'après-midi va plus rondement. Vers les quatre heures et demi, nous avons terminé l'enregistrement des dialogues. Le technicien doit terminer les traitements de voix avec l'ordinateur, et nous remettre les CD gravés le lendemain matin. Les CDs seront ainsi remis au client dans les temps.
Jour 2. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous, les deux acteurs-narrateurs, parlions à des volumes différents. Bruit de fond, réverbération, CD illisible, statique... catastrophe! Nous devons rester pour s'assurer qu'ils corrigent tout ça. Le technicien démontre tout au long de la journée une parfaite incompétence. Il semble même paniqué par moments et se confond en excuses, explications, justifications. Son patron semble beaucoup plus à l'aise avec la technique. On ne cesse de le demander à la rescousse. Il ne répond pas au téléphone. En fin de journée, il apparaît pour redisparaître aussitôt, sans avertissement. La colère monte en moi. Je laisse le gestionnaire agir. C'est plus sage. Il représente mon employeur mais surtout, c'est un motivateur expert et un excellent diplomate. Il connaît les moeurs locales. De mon côté, j'ai toutes les peines du monde à rester poli. Le gestionnaire et moi, sans le vouloir, nous engageons dans un dialogue de type "bon flic, mauvais flic" où l'un fait preuve de gentillesse et cherche à comprendre, l'autre plus hostile, applique de la pression. Le patron finit par resurgir. En 2 minutes, il fait plus pour améliorer l'enregistrement que son technicien en 2 heures! Le patron donne quelques conseils au technicien. Voilà. Tout doit être arrangé ce soir. Mon gestionnaire leur explique: s'il y a quelque problème que ce soit, vous pouvez m'appeler jusqu'à minuit. (Non! ça ne sera pas nécessaire! Voyons!)
Jour 3. 9h15 du matin. J'appelle le gestionnaire. Il me dit être resté au studio d'enregistrement jusqu'à deux heures du matin! Malgré tout, il est déjà debout. Il est d'attaque:"On y retourne?" Le coeur n'y est plus, mais je me dis qu'il faut bien que j'assiste à l'accouchement de mon bébé. Le gestionnaire vient me chercher. Tout semble assez bien. Cependant, les leçons 6, 7 et 8 présentent certains problèmes. La voix de la narratrice semble zigzaguer, frémir. Je suis prêt à jeter la serviette. Je ne veux plus parler au technicien qui, de toute façon, n'est jamais sûr de rien. L'enregistrement est compréhensible. Si c'est tout ce qu'on peut faire, tant pis. Le patron revient. Nous lui faisons part du problème. Nous ferons certaines dernières modifications. L'enregsitrement, sans être parfait, sera présentable. Evidemment, nous ne pourrons facturer au client le coût réel de l'entreprise, en heures, en appels téléphonique et autres. Nous aurons compléter le travail pour l'honneur...
Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de ce qui manque cruellement ici: l'éthique de travail, le sens d'une certaine responsabilité, un certain sentiment d'urgence. Il vient un temps où, ce n'est plus une question d'argent. On veut quelqu'un de fiable, qui sache faire le travail. Malheureusement, les collaborateurs de la firme qui m'engage sont presque les seuls contre-exemples que j'aie rencontrés jusqu'ici. C'est la serveuses dédaigneuse, qui vous fait sentir que vous dérangez. C'est le réparateur de climatisation qui n'a pas ses outils. C'est la bonne qui achète de la mauvaise viande avec votre argent, et qui empoche la différence. C'est l'ouvrier qui doit corriger un travail mal fait mais exige d'être payé quand même, tout de suite! Chez un marchant libanais (ils le sont souvent), la procédure pour acheter est des plus compliquées. On vous donne un papier, on vous donne une facture, vous allez payer la facture... Bref, vous vous promenez dans le magasin un peu partout... Pourquoi? A mon avis, parce que les employés volaient les cients, ou le magasin, ou les deux. Comme un ami canadien qui a décidé de se passer de bonne, nous songeons à faire de même. Nous avons presque perdu espoir de trouver quelqu'un qui soit à la fois intègre et compétent. Pourtant les gens cherchent du travail. Ils manquent cruellement d'argent. Les étrangers qui offrent un travail paient bien!
Au moment de repartir, le gestionnaire a fait plusieurs remarques au patron du studio. Venant d'un homme aussi calme, les paroles portaient comme des coups de masse. Pourtant, le principal intéressé ne semblait pas embarrassé. Malgré les pertes de temps, les déceptions, son indisponibilité, l'incompétence de son technicien... C'est lui qui, en fin de compte, a fourni les CDs, contrairement à l'entente initiale. Le gestionnaire m'a plus tard fait savoir qu'ils les avaient facturés au gros prix...
Sur place: surprise! Un artiste est déjà au micro à chanter un thème religieux:"Gloire à Jésus, gloire à Allah, seigneurs de l'univers!" Bon. Je suppose qu'en Afrique, on cherche à exploiter l'équipement au maximum. On ne semble pourtant pas pressé de faire sortir le chanteur. L'efficacité n'est pas une valeur ici. Les bonnes relations priment. Tout de même, on nous fait attendre quelques minutes en plein soleil. Notre gestionnaire en fait la remarque. On veut pouvoir entrer! Le chanteur finit par partir. On apporte des chaises. Le studio est exigü et est construit en trois pièces qui se succèdent. La première où on pénètre semble contenir du matériel défectueux, empilé ici et là. La deuxième pièce contient la console reliée à un ordinateur. Derrière la console, se trouve une baie vitrée où on voit l'intérieur de la troisième pièce. Un micro s'y trouve. On devine que c'est là qu'on devra faire les dialogues. Autour de la console, on est à l'étroit mais à tout le moins, le matériel électronique rassure. Le nombre de boutons de contrôle impressionne. Il laisse entrevoir un résultat professionnel, proche de celui que l'on aurait en Occident. On place trois chaises autour de la table. Une fois tout le monde assis, il n'y a plus de place pour circuler. Presqu'immédiatement, on constate que la température est suffocante. Déjà, en chemin, la journée s'annonçait chaude: dans les quarante degrés. On se rend vite compte qu'à l'extérieur du studio, la température est confortable quand on a passé quelques minutes autour de la console. Un petit ventilateur se trouve au plafond. On demande au technicien de l'allumer. La salle où se fera la prise de son inquiète: n'y a-t'il pas de ventilation à l'intérieur? Non, ça créerait un bruit de fond. N'avez-vous pas l'air climatisé? Non. Le gestionnaire me regarde d'un air inquiet. L'Occidental pourra-t'il tenir le coup? Bon... Ce sera un coup à donner...
Je connais déjà, après 6 mois sur place, les façons efficaces de lutter contre la chaleur. Il me faudra une serviette pour m'éponger la tête et le corps et de l'eau très glacée, à prendre à intervalles réguliers. Notre gestionnaire, toujours d'un soutient irréprochable, nous apporte de l'eau et part nous acheter des serviettes. Nous pénétrons dans la salle d'enregistrement. Du matériel absorbant le son a été collé sur les murs et le plafond. Le travail est fait maison mais ça semble efficace. Dommage que le fil du micro empêche la porte de fermer. On se trouve en plein sauna. Immédiatement, l'eau perle à grosses gouttes sur mon visage et dégoutte par terre. Il doit bien faire dans les 60 degrés celsius! La feuille que je tiens pour les dialogues est vite imbibée autour de ma main. Je repousse les limites du corps au nom de l'aventure! Je me sens comme un étudiant qui prépare un examen de nuit pour la première fois. Je suis un Navy Seal de l'enseignement! A presque 40 ans, je croyais en avoir fini avec ce genre de trip d'égo... Nous avons 8 dialogues à enregistrer. Je vise d'en terminer un avant de sortir pour une pause. C'est chose faite. Une fois la narratrice sortie, je remarque que son visage est aussi perlé de sueur que le mien. Pourtant, elle ne semble pas avoir droit aux mêmes égards que moi, l'Occidental aux cheveux gris. Je m'efforce de compenser. Prenez la bouteille d'eau! Il faut boire! Vous n'allez pas tenir la journée! Elle craint de devoir se soulager si elle boit trop. Il est vrai qu'il n'y a pas de toilette à l'occidentale à des kilomètres à la ronde. C'est moins évident pour une fille. Elle boit un peu, presqu'à contrecoeur. Le gestionnaire arrive avec les serviettes. Comme un joueur de hockey sur le banc, je m'épongerai le visage et les cheveux toute la journée en gardant la serviette autour de mon cou.
Le technicien insiste pour que nous enregistrions nos répliques séparément pour ensuite reconstituer les dialogues. Cette méthode permet de traiter chaque voix séparément. Le problème, c'est qu'on se rend vite compte que le montage prend ensuite une éternité. Il faut laisser du temps pour que l'apprenant puisse répéter les phrases. Ainsi, je dois constamment guider le technicien (plus de temps, non c'est trop, moins de temps). Je me rends vite compte qu'à cette vitesse, on prendra plus d'une journée. Je propose d'enregistrer les dialogues à deux, directement, en restant silencieux pour créer les temps de pause. Si des ajustements sont nécessaires, le technicien m'assure qu'on pourra les faire ensuite.
Il est presque midi. J'appelle mon épouse pour qu'elle vienne me sortir de cette fournaise, le temps du dîner. Je sens de toute façon que mon sandwich ne va pas suffire à me nourrir. Je me rappelle un travail d'été à 17 ans où je pelletais dans la vapeur d'une usine. Je passais toute l'heure du midi à manger. ça aussi, je ne pensais pas le revivre. Les travailleurs locaux sont laissés à eux-même. Ils n'auront pas la chance, comme moi, d'être extirpé de cette cuisine de l'enfer, le temps d'un bon repas. Voulez-vous qu'on vous dépose quelque part? Non. Elle mangera sur place. L'heure du dîner sera maximisée de façon à pouvoir me changer de vêtements, prendre une douche, manger, boire et préparer de l'eau glacée. Malgré mon empressement, j'ai pris plus d'une heure. Vite, il faut terminer pour aujourd'hui. Le gestionnaire m'appelle pour savoir où je suis. Oui, j'arrive!
L'après-midi va plus rondement. Vers les quatre heures et demi, nous avons terminé l'enregistrement des dialogues. Le technicien doit terminer les traitements de voix avec l'ordinateur, et nous remettre les CD gravés le lendemain matin. Les CDs seront ainsi remis au client dans les temps.
Jour 2. Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, nous ne sommes pas au bout de nos peines. Nous, les deux acteurs-narrateurs, parlions à des volumes différents. Bruit de fond, réverbération, CD illisible, statique... catastrophe! Nous devons rester pour s'assurer qu'ils corrigent tout ça. Le technicien démontre tout au long de la journée une parfaite incompétence. Il semble même paniqué par moments et se confond en excuses, explications, justifications. Son patron semble beaucoup plus à l'aise avec la technique. On ne cesse de le demander à la rescousse. Il ne répond pas au téléphone. En fin de journée, il apparaît pour redisparaître aussitôt, sans avertissement. La colère monte en moi. Je laisse le gestionnaire agir. C'est plus sage. Il représente mon employeur mais surtout, c'est un motivateur expert et un excellent diplomate. Il connaît les moeurs locales. De mon côté, j'ai toutes les peines du monde à rester poli. Le gestionnaire et moi, sans le vouloir, nous engageons dans un dialogue de type "bon flic, mauvais flic" où l'un fait preuve de gentillesse et cherche à comprendre, l'autre plus hostile, applique de la pression. Le patron finit par resurgir. En 2 minutes, il fait plus pour améliorer l'enregistrement que son technicien en 2 heures! Le patron donne quelques conseils au technicien. Voilà. Tout doit être arrangé ce soir. Mon gestionnaire leur explique: s'il y a quelque problème que ce soit, vous pouvez m'appeler jusqu'à minuit. (Non! ça ne sera pas nécessaire! Voyons!)
Jour 3. 9h15 du matin. J'appelle le gestionnaire. Il me dit être resté au studio d'enregistrement jusqu'à deux heures du matin! Malgré tout, il est déjà debout. Il est d'attaque:"On y retourne?" Le coeur n'y est plus, mais je me dis qu'il faut bien que j'assiste à l'accouchement de mon bébé. Le gestionnaire vient me chercher. Tout semble assez bien. Cependant, les leçons 6, 7 et 8 présentent certains problèmes. La voix de la narratrice semble zigzaguer, frémir. Je suis prêt à jeter la serviette. Je ne veux plus parler au technicien qui, de toute façon, n'est jamais sûr de rien. L'enregistrement est compréhensible. Si c'est tout ce qu'on peut faire, tant pis. Le patron revient. Nous lui faisons part du problème. Nous ferons certaines dernières modifications. L'enregsitrement, sans être parfait, sera présentable. Evidemment, nous ne pourrons facturer au client le coût réel de l'entreprise, en heures, en appels téléphonique et autres. Nous aurons compléter le travail pour l'honneur...
Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres de ce qui manque cruellement ici: l'éthique de travail, le sens d'une certaine responsabilité, un certain sentiment d'urgence. Il vient un temps où, ce n'est plus une question d'argent. On veut quelqu'un de fiable, qui sache faire le travail. Malheureusement, les collaborateurs de la firme qui m'engage sont presque les seuls contre-exemples que j'aie rencontrés jusqu'ici. C'est la serveuses dédaigneuse, qui vous fait sentir que vous dérangez. C'est le réparateur de climatisation qui n'a pas ses outils. C'est la bonne qui achète de la mauvaise viande avec votre argent, et qui empoche la différence. C'est l'ouvrier qui doit corriger un travail mal fait mais exige d'être payé quand même, tout de suite! Chez un marchant libanais (ils le sont souvent), la procédure pour acheter est des plus compliquées. On vous donne un papier, on vous donne une facture, vous allez payer la facture... Bref, vous vous promenez dans le magasin un peu partout... Pourquoi? A mon avis, parce que les employés volaient les cients, ou le magasin, ou les deux. Comme un ami canadien qui a décidé de se passer de bonne, nous songeons à faire de même. Nous avons presque perdu espoir de trouver quelqu'un qui soit à la fois intègre et compétent. Pourtant les gens cherchent du travail. Ils manquent cruellement d'argent. Les étrangers qui offrent un travail paient bien!
Au moment de repartir, le gestionnaire a fait plusieurs remarques au patron du studio. Venant d'un homme aussi calme, les paroles portaient comme des coups de masse. Pourtant, le principal intéressé ne semblait pas embarrassé. Malgré les pertes de temps, les déceptions, son indisponibilité, l'incompétence de son technicien... C'est lui qui, en fin de compte, a fourni les CDs, contrairement à l'entente initiale. Le gestionnaire m'a plus tard fait savoir qu'ils les avaient facturés au gros prix...
dimanche 27 juin 2010
Agoraphobes, s'abstenir!


L'affaire était entendue. Demain matin, nous irions chez Marcel, notre gardien de nuit (accroupi à gauche sur la photo). Il ne le savait pas encore, mais qu'importe! Il part habituellement aux heures où nous finissons le petit déjeuner. Au lieu de repartir chez lui à vélo, il montera à bord de notre nouvelle voiture. En fait, visiter ou se faire visiter par la famille d'un employé fait, en quelque sorte, partie des moeurs africaines. Ici, il n'y a pas de cloison étanche entre vie personnelle et vie professionnelle. C'est si vrai que les exigences familiales sont une excuse toute indiquée pour s'absenter du bureau. Aller chez un employé, c'est aussi une façon de savoir où il habite, si jamais il disparaissait avec vos économies ou votre voiture. Dans un continent où plusieurs n'ont pas d'adresse d'un autre type que "à gauche après le puits", ça peut être utile.
Marcel travaille pour nous depuis plus de 5 mois. Il a été engagé avant même notre arrivée par celui qui nous loue la maison. Aussi, nous n'avions pas vraiment de crainte relative à son honnêteté. Cependant, le personnage nous intrigait. Le fait qu'il ne parle pas français et que nous communiquions avec lui avec grand-peine y était pour beaucoup dans son mystère. Il y avait aussi les 10 km qu'il avait avoué parcourir soir et matin, à vélo, pour voyager entre sa maison et la nôtre. Enfin, nous avions envie de nous évader un peu du quotidien, de partir à l'aventure.
Aussitôt levé, je sortis dans notre cour pour voir Marcel. Celui-ci était déjà réveillé (oui, les gardiens de nuit dorment la nuit en Afrique). Il était assis à écouter sa radio, comme à l'habitude. En me pointant du doigt, puis en le pointant et en mimant celui qui tient un volant, je lui dis: "NOUS-ALLONS-ALLER-CHEZ-TOI!".
-Ahan... Ahan..., de répondre celui-ci.
... pas bien compris..., ajouta-t-il d'un ton hésitant.
-NOUS-ALLONS-CONDUIRE-CHEZ-TOI, dis-je en articulant de mon mieux.
-Ha..., fit-il d'un ton inquiet.
Pourtant, en Afrique, n'importe qui débarque chez n'importe qui sans s'annoncer. Je prenais pour acquis, de toute façon, que notre visite serait pour lui un signe de notre considération. Je tournai les talons pour aller terminer les préparatifs.
Quelques minutes plus tard, nous étions tous à bord. Marcel était sur la banquette arrière, à nous indiquer le chemin. Le fait qu'il confonde la droite et la gauche au début m'a contrarié quelque peu. Mais restons humbles! Plusieurs en Occident ne les différencient qu'à grand-peine après une intense réflexion, quand ils y parviennent! Nous avons eu quelques autres difficultés, en gande partie dues à la langue française, qui différencie mal "tout droit" et "à droite". Cependant, après quelques virages, nous étions fixés: "coupez à droite" signifiait "tournez à droite".
Le ciel menaçait depuis quelque temps déjà. Malgré que la matinée ait été bien entâmée, il faisait aussi noir qu'aux premières lueurs de l'aube. Les habitants s'affairaient avant la tempête et remplissaient les rues. Le vent soulevait la poussière et, ici et là, des sacs de plastique éventrés traversaient la route à travers la lumière des phares. La pluie se mit à tomber. Au fur et à mesure qu'elle s'intensifiait, nous eûmes à ralentir. Nous nous engageâmes dans les rues non pavées, en périphérie de la ville. La pluie avait transformé la poussière en boue. Nous essayions de retenir le chemin pour le retour, mais très vite, la tâche apparut impossible. Notre concentration se fixait à négocier nos passages à travers les marres boueuses ou les accidents de terrain. Au Burkina Faso, le 4x4 n'est pas une mode. On ralentissait souvent presque jusqu'à l'arrêt complet, de peur d'entendre le fond de la voiture rabotter le sol ou une pierre en sailli. Chaque marre ou dénivélation devenait l'occasion de sonder notre guide:"Est-ce que ça passe?". Qu'il réponde invariablement "oui! oui! ça passe!" n'était rassurant qu'à moitié. ça voulait dire qu'il savait que d'autres voitures passaient, sans plus: Marcel ne conduisait qu'un vélo.
Au fur et à mesure que nous avancions, il devenait clair que les rues où nous nous engagions étaient improvisées. Nous apprîmes plus tard que nous nous étions aventurés dans la zone non lotie. Les habitants s'étaient installés ici et là, au gré de leurs besoins. Peut-être inaugurions-nous des routes nous aussi, en engageant notre voiture là où le terrain semblait praticable, entre deux constructions. Ma femme et moi partageâmes quelques inquiétudes pour le retour, qui devait se faire sans Marcel. Au fur et à mesure que nous avancions, le respect que nous éprouvions pour lui allait en grandissant. Il était à peine croyable qu'un homme se promène à vélo sur une telle distance, sur des routes aussi accidentées, sept jours sur sept. Aussi, l'orgueil m'incita à garder mes angoisses pour moi-même. Ma femme, quant à elle, avoua s'amuser ferme.
-Est-ce que tu aimes ça?, demanda-t-elle. C'est l'aventure!
Je fus surpris. Elle est d'un naturel si timoré que je dois souvent la calmer.
Son enthousiasme me rassura. Après tout, la voiture était à elle!
J'encourageais ma femme à ne pas ralentir dans les marres, sachant trop bien qui pousserait, si la voiture s'embourbait (si Marcel ne suffisait pas à la tâche, bien sûr). Devant un paysage qui présentait trop d'incertitude, nous laissions les motos s'engager pour en apprendre davantage. Leurs conducteurs, prudents eux aussi, descendaient pour les pousser à travers le torrent, après avoir remonté leurs pantalons jusqu'aux genoux. Ils nous révélaient ainsi la profondeur du courant. Nous eûmes quelques fois à descendre du véhicule pour évaluer de plus près le dénivelé. Je marchais alors dans la vase avec mes souliers de cuir, en prenant soin de ne pas, en plus, glisser pour m'étendre de tout mon long. J'imaginais alors les habitants crever de rire en voyant un Blanc souffrir plus qu'eux dans la tempête. ça en serait trop. Je pliai les genoux un peu plus, en bon judoka, pour consolider mon équilibre. Marcel nous enjoignit d'avancer:"ça passe, ça passe!"
Je ne savais plus si la voiture était notre planche de salut à travers les intempéries, une croix que nous portions, ou encore un bijou précieux que nous traînions dans la boue. Les rues que nous parcourions étaient peuplées, animées par endroits même. Mais à quelle aide pouvait-on s'attendre des habitants? Même s'ils voulaient nous aider, sauraient-ils nous donner des indications précises? Pourraient-ils s'exprimer suffisamment en français? Qu'arriverait-t-il si nous restions pris dans la boue? Le sentiment de sécurité que me donnait la voiture s'était envolé. Ma peur grandissait de devoir l'abandonner parmis ces gens pauvres qui seraient trop heureux de la récupérer, comme un don record d'un particulier pour l'Afrique.
Nous rencontrions un puits de temps à autre. C'était des puits comme on en trouve en Afrique de l'Ouest: de forme carrée, au ras du sol et sans garde-fou aucun. Mieux valait ouvrir l'oeil et éviter de descendre près de ces trous. Puis, nous nous engageâmes dans ce qui ressemblait, en terme de planification urbaine, à une ville de l'antiquité. Les murs des maisons formaient des corridors si étroits que même avec une petite voiture comme la nôtre, on ne s'y faufilait qu'avec une extrême prudence. Lors d'un passage particulièrement étroit, nous dûmes vérifier que les rétroviseurs n'allaient pas s'arracher sur les murs. On voyait des alimentations sur le bord de la route et nous nous demandions comment diable elles pouvaient bien être ravitaillées! Il faut dire que l'on a déjà vu en ce pays des mini-camions, plus étroits qu'une voiture, que l'on utiliserait en Amérique du Nord pour entretenir les pelouses. Il y a aussi les motos qui traîne une remorque. Toujours est-il que je ne me souviens pas que nous ayions croisé plus d'un véhicule à quatre roues lors de notre escapade.
-Est-ce qu'on est encore loin?
-Oui! oui! Pas loin!
Un sac de jute apparût sur la route, en plein sur notre trajectoire. Mon épouse, au volant, continuait d'avancer.
-Attention, dis-je, il contient peut-être une pierre!
-Attention, dis-je, il contient peut-être une pierre!
-Non, non, répondit-elle.
Le sac à surprise disparut sous la voiture. Un râclement irrégulier résonna sous nos pieds. Je grimaçai à l'extrême, comme pris d'une douleur intense, tant ce bruit stimulait cruellement mon imagination. J'eus plus tard une pensée pour les récits des sous-mariniers qui entendaient la pression de l'eau déformer la coque de leur submersible. Nous n'eûmes d'autre choix que de continuer à avancer pour se dégager. Nous nous arrêtâmes et sortîmes pour ouvrir le sac. Il contenait des retailles de plaques d'acier! De retour dans la voiture, je foudrayai mon épouse du regard. Décidemment, cette expédition commençait à me mettre les nerfs en boule.
-Est-ce que c'est encore loin, demandai-je à Marcel.
-Non! Non! Pas loin!
Nous finîmes par arriver dans une cour où se trouvaient deux petits bâtiments, deux maisonnettes de la taille d'une grande remise de jardin. La porte de la plus grande maisonnette était grande ouverte. Une femme se présenta devant l'ouverture et nous observa. Elle avait été, de toute évidence, alertée par le bruit du moteur et la présence d'une voiture. Ici, seuls les riches peuvent s'en payer une, même usagée. Elle nous dévisagea un instant puis elle disparut à l'intérieur de la maison. Nous descendîmes sous la pluie. Marcel entra dans la maison en nous laissant plantés là, sans doute pour préparer sa famille à notre visite. Nous nous abritâmes sous un arbre en souhaitant qu'il fasse vite. Derrière nous, se trouvait l'autre petit bâtiment, d'où sortit sa femme. Elle nous avait déjà rendu visite à la maison. Elle nous sourit (à ma gauche sur la photo). "Oui", me dis-je. "C'est bien ici! Nous sommes à la source!" On nous fit signe d'entrer. A l'intérieur, on avança des bancs pour nous permettre de nous asseoir. A ce moment, un homme d'environ 65 ans sortit d'une autre pièce pour nous accueillir. Il marchait d'un pas lent avec l'aide d'un bâton et était fort maigre.
Nous finîmes par arriver dans une cour où se trouvaient deux petits bâtiments, deux maisonnettes de la taille d'une grande remise de jardin. La porte de la plus grande maisonnette était grande ouverte. Une femme se présenta devant l'ouverture et nous observa. Elle avait été, de toute évidence, alertée par le bruit du moteur et la présence d'une voiture. Ici, seuls les riches peuvent s'en payer une, même usagée. Elle nous dévisagea un instant puis elle disparut à l'intérieur de la maison. Nous descendîmes sous la pluie. Marcel entra dans la maison en nous laissant plantés là, sans doute pour préparer sa famille à notre visite. Nous nous abritâmes sous un arbre en souhaitant qu'il fasse vite. Derrière nous, se trouvait l'autre petit bâtiment, d'où sortit sa femme. Elle nous avait déjà rendu visite à la maison. Elle nous sourit (à ma gauche sur la photo). "Oui", me dis-je. "C'est bien ici! Nous sommes à la source!" On nous fit signe d'entrer. A l'intérieur, on avança des bancs pour nous permettre de nous asseoir. A ce moment, un homme d'environ 65 ans sortit d'une autre pièce pour nous accueillir. Il marchait d'un pas lent avec l'aide d'un bâton et était fort maigre.
-C'est mon vieux, dit Marcel.
Cette affirmation devait être interprétée libéralement puisqu'en Afrique, quiconque de plus vieux pour qui on a de l'affection peut être appelé "son père". Effectivement, nous ne tardîmes pas à découvrir que c'était en réalité son beau-frère. La femme qui nous avait dévisagé à notre arrivée était la soeur de Marcel. Nous engageâmes la conversation et surprise, relativement à Marcel, le vieil homme parlait français comme Victor Hugo! Voilà qui simplifiait la conversation! On procéda aux saluatations habituelles (comment va-t-on, comment vont les enfants, la famille, etc.). Le vieil homme s'excusa de ne pas avoir quelque choise à nous offrir (ce n'est pas grave, voyons!) Puis, nous apportâmes les lapins. Pour les mettre à l'aise, je leur expliquai que nous nous en débarrassions "comme ils avaient été méchants".
-Comment ça?, fit le vieil homme, intrigué.
-Ils ont attaqué les pigeons.
-Les mâles font ça parfois.
-Les mâles? Ils font ça? (Je me tournai alors vers mon épouse.) Il faudra que les prochains lapins soient des femelles!
Mon regard se posa sur le pied de l'homme, gonflé et légèrement noirci.
-Avez-vous posé le pied dans le feu?, demandai-je.
-Non... Tétanos, ils ont dit.
-Vous avez-vu un médecin?
-Oui.
-Ils ont dit que ça allait guérir?
-Oui, fit-il, un peu hésitant, peut-être inquiété par ma question.
Peu après, nous prîmes congé de nos hôtes.
J'appris que Marcel allait revenir avec nous pour nous guider. Il reviendrait ensuite à vélo. Dieu soit loué! Le retour s'effectua par un autre chemin, qui nous permit d'atteindre la route pavée beaucoup plus rapidement. Pourquoi ne pas avoir emprunté cet itinéraire pour l'allée? Nous renonçâmes à questionner Marcel. Notre niveau de communication ne permettait pas d'aborder des questions aussi abstraites. Une fois de plus, Marcel ajoutait à son mystère.
Le soir et le lendemain, Marcel semblait plus énergique que jamais. Il faisait même des travaux d'entretien que nous ne lui avions jamais demandés. Il semblait effectivement que notre visite l'ait valorisé. Nous comprîmes quelques jours plus tard le mécanisme à l'oeuvre dans cette transformation, lorsque nous rencontrâmes un ami canadien, établi à Ouagadougou depuis près de 20 ans. Il me raconta sa visite chez quelqu'un qui avait été envoyé dans un village isolé (était-ce un membre du clergé ou un fonctionnaire, je ne me souviens pas, mais peu importe). L'homme en question se sentait peu estimé de la population locale. En effet, il ne recevait jamais de visiteurs, ce qui paraît mal dans un continent où tout dépend du réseau social. Suite à la visite de notre ami, son statut aux yeux des habitants s'était transformé. Ainsi donc, il avait reçu la visite d'un Blanc qui conduisait un 4x4! Le village avait sous-estimé son importance. On s'était trompé sur lui! Notre ami termina son histoire en répétant par deux fois:"Ne sous-estimez pas l'influence que vous avez sur les gens ici." Ainsi, pour Marcel, des Blancs avaient traversé la zone non lotie de Ouagadougou, là où les véhicules s'aventurent rarement, pour venir lui faire cadeau de deux lapins. Un petit festin! Nous avions fait dorer son blason aux yeux du quartier!
dimanche 9 mai 2010
Les masques
Vendredi soir. Je reçois un appel de l'institut linguistique. Mon élève a encore annulé son cours privé du lendemain. Encore une fois, il s'agit de funérailles. Au bout du fil, le responsable du centre semble embarrassé. Il m'explique:"C'est le festival des funérailles actuellement au Burkina Faso." Je suis loin de me douter que le commentaire est assez proche de la réalité. C'est le lendemain que je vais l'apprendre, à un rare endroit où l'on peut expliquer les croyances animistes sans détour ni complexe: à la salle des masques du musée.
En effet, il est vrai que l'Africain aime garder des secrets, même des autres Africains. Mais, généralement, les Burkinabés affichent fièrement leurs croyances religieuses. Ainsi, dans les taxis, on voit très souvent des chapelets, musulmans ou chrétiens, suspendus au rétroviseur. Des autocollants écrits en arabe ou louant Dieu apparaissent sur les tableaux de bord et même sur les vêtements. Or, les deux principales religions du Burkina Faso, l'islam et la christianisme, dans l'ordre, ont amené les Burkinabés à reléguer leur traditions et croyances animistes au rang de supercheries honteuses. Quand on y croit, on ne s'en vante pas. Ainsi, dans l'isolement relatif des campagnes ou en ville, après avoir tiré les rideaux, des musulmans ou des chrétiens vont intégrer des rites animistes à leur vie spirituelle, avec une certaine discrétion...
Samedi matin au musée. Nous entrons dans une grande pièce dégagée. Elle n'est pas climatisée mais la température est acceptable. Bien distancés les uns des autres, on voit quelques masques anciens posés sur des présentoirs modestes. Quatres jeunes Blancs, à peine adultes, sont devant le guide, un Africain d'assez grande taille, dans la fin vingtaine. Une visite vient de commencer. Je regarde tout autour. Certains masques sont fixés sur un costume fait de pailles, qu'on devine destiné à recouvrir le corps. L'éclairage ne se compare en rien à celui des musées thématiques occidentaux, où l'on fait surgir les pièces de l'obscurité à l'aide de projecteurs hallogènes. Non. Ici, l'éclairage provient surtout des fenêtres au haut des murs et donne autant de charisme à l'exposition que si elle se trouvait dans un entrepôt. Les masques sont peu colorés et ne présentent pas une maîtrise artistique très poussée. C'est malheureusement la marque des masques traditionnels anciens au Burkina Faso. Je suis déçu. Mon regard se tourne alors vers le guide, dernier espoir.
L'homme nous jette un coup d'oeil et dit qu'il va poursuivre la visite en nous intégrant. Le groupe en est en effet au troisième masque sur un total d'environ vingt-cinq. Le guide poursuit donc ses explications sur la légende de l'origine des masques. Tout de suite, l'homme révèle un talent de conteur, une faculté d'entraîner l'audience dans l'univers qu'il voit de l'intérieur, derrière ses yeux pétillants. Ses mains restent, la plupart du temps, immobiles mais sa voix est chargée d'émotion. Le ton se promène entre la fascination et la confidence, entre la certitude et le questionnement, comme un enfant qui parle en admirant les étoiles. Je découve vite que le sujet de la visite sera cet homme. Certes, la légende sur l'origine des masques est aussi terne que la pire des légendes indiennes (un fil venu du ciel les faisait descendre). Quand aux vertus associées aux masques, elles ne nous permettent pas d'aller plus loin que Tintin au Congo (guérison, protection lors d'une bataille, fertilité, longévité, etc.) Et lui, le guide? Y croit-il? Difficile à dire. Non... Il est éduqué. Il parle un français impeccable avec quelques rares erreurs. Il habite la capitale. Il se doit d'expliquer les croyances locales. Il nous explique que ces pratiques sont bien vivantes dans les campagnes.
Peu à peu, la visite devient plus interactive. Un des "vieux ados" a décidé de se mettre en évidence. Il répond aux explications du guide avec un sourire fendu jusqu'aux oreilles, condescendant et feind la naïveté avec un réel enthousiasme. Sans doute cherche-t-il à impressionner les deux filles qui l'accompagnent. Je me demande si je dois le ramener à l'ordre. Finalement, j'essaie plutôt d'encourager le guide et de compenser en posant quelques questions. Après tout, l'Occident n'est pas l'Afrique et le fait d'être plus âgé ne m'aiderait pas à raisonner le jeune touriste.
Ma femme, même si elle est d'origine Nigérienne, ne connaît pas les masques. Il ne font pas partie de la culture là-bas. Elle tente, elle aussi, une question.
-Si ça marche, pourquoi tout le monde n'utilise pas les masques? Pourquoi ne voit-on pas des masques partout? Elle éclate de rire.
Je suis horrifié. Je regarde le guide. Je crains de le voir tomber au fond d'un puits d'humiliation.
Non. Il ne perd pas pied. Sa voix est calme, sereine.
-Oui, ça marche... Mais tout le monde n'a pas accès aux masques, explique-t-il.
(ah! donc il y croit!)
Une femme, par exemple, ne pourra jamais porter le masque. De plus, les gens gardent ces objets des étrangers. Enfin, il y a des règles à respecter. One ne fait pas ce qu'on veut quand on veut. Les masques ont leurs exigences. J'ajouterais qu'ils ont aussi des moyens d'expliquer les échecs. Si par exemple, on fait appel au masque destiné à protéger le guerrier et qu'il est blessé au combat, la seule raison possible est que le guerrier a agi de façon à déplaire aux anciens. Le guide nous apprend aussi que la foi dans les masques repose en partie sur ce que la logique ou la science ne peut expliquer. C'est le cas par exemple de ce célèbre politicien africain, seul survivant d'un crash spectaculaire. Doit-on soupçonner un pacte avec le masque crcocodile, qui vous préserve de la mort tant et aussi longtemps que vous portez l'anneau? Lorsqu'un tel pacte a été conclu, sa puissance est telle que les membres de la famille doivent enlever l'anneau du doigt du mourrant pour le laisser partir en paix. Voilà qui me fait penser aux sacrements chrétiens, qui marquent les étapes d'une vie. C'est certainement aussi une façon de déclencher un puissant effet placebo chez le croyant. Dans tous les cas, le vieil ado se tiendra tranquile jusqu'à la fin de la visite. Ma femme aussi.
Nous continuons la visite. Nous apprenons ainsi qu'il y a traditionnellement deux funérailles: la douloureuse, tenue le jour même de la mort, et la festive, tenue de six mois à deux ans après le décès. Cette dernière est particulièrement fêtée à cette période-ci de l'année, au mois de mai. Je repense à mon élève de l'institut et ses funérailles à répétitions. Soudainement, l'explication semble plus crédible. Surtout qu'en Afrique, on ne badine pas avec les obligations familiales...
La visite tire à sa fin. Je me rends compte que les masques ne sont plus pour moi des morceaux de bois, pas plus que ne le serait un crucifix. Leur influence, justifiée ou non, vous amène à les considérer avec respect. Je me sens plus près du guide, presqu'admiratif devant son imaginaire. Bien sûr les masques sont insensés. Leur pouvoir, par contre, est bien réel. Comme une douleur psychosomatique, ou un effet placébo. Mais il y a plus. Le masque échappe à la justification, à la responsabilité. C'est bien là ce qui fait peur. Comme l'alpiniste qui a une peur mêlé de respect pour la montagne, c'est quelque chose de difficile à comprendre à distance, à partir de son salon. Celui qui interprète le masque lors d'une cérémonie est l'homme qui le porte. Il y croit. Il devient le masque. Cet homme, c'est peut-être celui qui me vend un poulet au marché. C'est peut-être mon chauffeur de taxi ou mon patron.
Ou celui qui garde ma maison.
En effet, il est vrai que l'Africain aime garder des secrets, même des autres Africains. Mais, généralement, les Burkinabés affichent fièrement leurs croyances religieuses. Ainsi, dans les taxis, on voit très souvent des chapelets, musulmans ou chrétiens, suspendus au rétroviseur. Des autocollants écrits en arabe ou louant Dieu apparaissent sur les tableaux de bord et même sur les vêtements. Or, les deux principales religions du Burkina Faso, l'islam et la christianisme, dans l'ordre, ont amené les Burkinabés à reléguer leur traditions et croyances animistes au rang de supercheries honteuses. Quand on y croit, on ne s'en vante pas. Ainsi, dans l'isolement relatif des campagnes ou en ville, après avoir tiré les rideaux, des musulmans ou des chrétiens vont intégrer des rites animistes à leur vie spirituelle, avec une certaine discrétion...
Samedi matin au musée. Nous entrons dans une grande pièce dégagée. Elle n'est pas climatisée mais la température est acceptable. Bien distancés les uns des autres, on voit quelques masques anciens posés sur des présentoirs modestes. Quatres jeunes Blancs, à peine adultes, sont devant le guide, un Africain d'assez grande taille, dans la fin vingtaine. Une visite vient de commencer. Je regarde tout autour. Certains masques sont fixés sur un costume fait de pailles, qu'on devine destiné à recouvrir le corps. L'éclairage ne se compare en rien à celui des musées thématiques occidentaux, où l'on fait surgir les pièces de l'obscurité à l'aide de projecteurs hallogènes. Non. Ici, l'éclairage provient surtout des fenêtres au haut des murs et donne autant de charisme à l'exposition que si elle se trouvait dans un entrepôt. Les masques sont peu colorés et ne présentent pas une maîtrise artistique très poussée. C'est malheureusement la marque des masques traditionnels anciens au Burkina Faso. Je suis déçu. Mon regard se tourne alors vers le guide, dernier espoir.
L'homme nous jette un coup d'oeil et dit qu'il va poursuivre la visite en nous intégrant. Le groupe en est en effet au troisième masque sur un total d'environ vingt-cinq. Le guide poursuit donc ses explications sur la légende de l'origine des masques. Tout de suite, l'homme révèle un talent de conteur, une faculté d'entraîner l'audience dans l'univers qu'il voit de l'intérieur, derrière ses yeux pétillants. Ses mains restent, la plupart du temps, immobiles mais sa voix est chargée d'émotion. Le ton se promène entre la fascination et la confidence, entre la certitude et le questionnement, comme un enfant qui parle en admirant les étoiles. Je découve vite que le sujet de la visite sera cet homme. Certes, la légende sur l'origine des masques est aussi terne que la pire des légendes indiennes (un fil venu du ciel les faisait descendre). Quand aux vertus associées aux masques, elles ne nous permettent pas d'aller plus loin que Tintin au Congo (guérison, protection lors d'une bataille, fertilité, longévité, etc.) Et lui, le guide? Y croit-il? Difficile à dire. Non... Il est éduqué. Il parle un français impeccable avec quelques rares erreurs. Il habite la capitale. Il se doit d'expliquer les croyances locales. Il nous explique que ces pratiques sont bien vivantes dans les campagnes.
Peu à peu, la visite devient plus interactive. Un des "vieux ados" a décidé de se mettre en évidence. Il répond aux explications du guide avec un sourire fendu jusqu'aux oreilles, condescendant et feind la naïveté avec un réel enthousiasme. Sans doute cherche-t-il à impressionner les deux filles qui l'accompagnent. Je me demande si je dois le ramener à l'ordre. Finalement, j'essaie plutôt d'encourager le guide et de compenser en posant quelques questions. Après tout, l'Occident n'est pas l'Afrique et le fait d'être plus âgé ne m'aiderait pas à raisonner le jeune touriste.
Ma femme, même si elle est d'origine Nigérienne, ne connaît pas les masques. Il ne font pas partie de la culture là-bas. Elle tente, elle aussi, une question.
-Si ça marche, pourquoi tout le monde n'utilise pas les masques? Pourquoi ne voit-on pas des masques partout? Elle éclate de rire.
Je suis horrifié. Je regarde le guide. Je crains de le voir tomber au fond d'un puits d'humiliation.
Non. Il ne perd pas pied. Sa voix est calme, sereine.
-Oui, ça marche... Mais tout le monde n'a pas accès aux masques, explique-t-il.
(ah! donc il y croit!)
Une femme, par exemple, ne pourra jamais porter le masque. De plus, les gens gardent ces objets des étrangers. Enfin, il y a des règles à respecter. One ne fait pas ce qu'on veut quand on veut. Les masques ont leurs exigences. J'ajouterais qu'ils ont aussi des moyens d'expliquer les échecs. Si par exemple, on fait appel au masque destiné à protéger le guerrier et qu'il est blessé au combat, la seule raison possible est que le guerrier a agi de façon à déplaire aux anciens. Le guide nous apprend aussi que la foi dans les masques repose en partie sur ce que la logique ou la science ne peut expliquer. C'est le cas par exemple de ce célèbre politicien africain, seul survivant d'un crash spectaculaire. Doit-on soupçonner un pacte avec le masque crcocodile, qui vous préserve de la mort tant et aussi longtemps que vous portez l'anneau? Lorsqu'un tel pacte a été conclu, sa puissance est telle que les membres de la famille doivent enlever l'anneau du doigt du mourrant pour le laisser partir en paix. Voilà qui me fait penser aux sacrements chrétiens, qui marquent les étapes d'une vie. C'est certainement aussi une façon de déclencher un puissant effet placebo chez le croyant. Dans tous les cas, le vieil ado se tiendra tranquile jusqu'à la fin de la visite. Ma femme aussi.
Nous continuons la visite. Nous apprenons ainsi qu'il y a traditionnellement deux funérailles: la douloureuse, tenue le jour même de la mort, et la festive, tenue de six mois à deux ans après le décès. Cette dernière est particulièrement fêtée à cette période-ci de l'année, au mois de mai. Je repense à mon élève de l'institut et ses funérailles à répétitions. Soudainement, l'explication semble plus crédible. Surtout qu'en Afrique, on ne badine pas avec les obligations familiales...
La visite tire à sa fin. Je me rends compte que les masques ne sont plus pour moi des morceaux de bois, pas plus que ne le serait un crucifix. Leur influence, justifiée ou non, vous amène à les considérer avec respect. Je me sens plus près du guide, presqu'admiratif devant son imaginaire. Bien sûr les masques sont insensés. Leur pouvoir, par contre, est bien réel. Comme une douleur psychosomatique, ou un effet placébo. Mais il y a plus. Le masque échappe à la justification, à la responsabilité. C'est bien là ce qui fait peur. Comme l'alpiniste qui a une peur mêlé de respect pour la montagne, c'est quelque chose de difficile à comprendre à distance, à partir de son salon. Celui qui interprète le masque lors d'une cérémonie est l'homme qui le porte. Il y croit. Il devient le masque. Cet homme, c'est peut-être celui qui me vend un poulet au marché. C'est peut-être mon chauffeur de taxi ou mon patron.
Ou celui qui garde ma maison.
vendredi 23 avril 2010
Les larmes du soleil
Il est persque six heures du matin. Le réveil est sur le point de sonner. Je regarde par la fenêtre. "Mais qu'est-ce que c'est que ça?" Là où on peut habituellement voir un morceau de ciel, pâle et terne, se découpe une surface lumineuse et orangée. Est-ce un nouvel auvent, chez le voisin, qui filtre la lumière?
Je me lève et me dirige vers le salon. Oui. C'est bien le ciel... Comprenons-nous bien: il n'est pas légèrement teinté. La coloration est profonde, intense. La couleur de la lumière extérieure contraste de façon étonnante avec celle des tubes fluorescents de la maison. On pourrait penser qu'elle rappelle celle d'un lever de soleil sur la plage. Nullement. En effet, la couleur ne surgit d'aucune direction. Au contraire, c'est vers l'horizon que la couleur diminue d'intensité. Non! Cette couleur-là est due à la poussière. La poussière orange du Burkina, fine et facilement soulevée par le vent. Le ciel en est chargé, suite aux vents intenses de la nuit dernière. Je retourne dans la chambre. Mon épouse est réveillée, mais elle n'a pas encore ouvert les yeux. "Le ciel est orangé", lui dis-je platement. Elle s'approche de la fenêtre et pousse un cri de surprise.
-Est-ce que tu as déjà vu ça? (mon épouse est Nigérienne d'origine, un pays frontalier du Burkina Faso)
-Non...
Bien sûr, il y a l'Harmattan, un vent venu du Sahel, chargé de poussière, qui se lève au mois de février. Mais il n'a jamais changé la couleur du ciel depuis mon arrivée, il y a trois mois.
Je monte sur la terrasse du toit pour prendre une photo. Rien à faire: mon appareil, automatique, corrige la lumière ambiante. Je redescends.
-Marcel dit qu'il n'a jamais vu ça, me dit ma femme.
Marcel est notre gardien de nuit. Il est burkinabé. Quand on se lève, il s'apprête à partir.
Le jour précédant, on avait suspecté la bonne de ne pas avoir fait son travail: les planchers étaient poussiéreux. On comprend maintenant que le phénomène avait déjà commencé. Ce matin, la poussière est partout. On dirait une maison inoccupée, qu'on aurait laissée toutes fenêtres ouvertes. Pourtant, j'avais fermé la plupart des fenêtres cette nuit, réveillé par le vent qui les secouait. Maintenant, nous évitons de marcher pieds nus. Nous laissons des traces de pas au gré de nos déplacements, plus ou moins visibles selon les endroits. Intérieurement, je plains la bonne qui devra passer la journée à nettoyer. La température nous offre une autre surprise, bienvenue celle-là. Il fait presque frais. On est loin des 48 °C à l'ombre d'il y a quelques jours.
Nous cherchons une explication. Ma femme me raconte qu'il y a parfois un vent d'Asie, chargé de poussière, qui s'abat vers l'Afrique. C'est ce qu'elle a vu à la télévision. De mon côté, je touve étrange de songer à un phénomène venu d'ailleurs quand on trouve toute la poussière du monde ici. Dans tous les cas, le caractère inédit du phénomène laisse croire à une autre manifestation des changements climatiques. Les Burkinabés eux-mêmes disent voir maintenant des choses qu'ils ne voyaient pas avant, comme de la pluie en décembre.
Mon épouse me raconte qu'au Niger, le fleuve du même nom s'assèche de plus en plus depuis quelques années. Elle craint éventuellement que le pays ne cesse tout simplement d'exister si les températures continuent d'augmenter. En effet, comment demander à une population de s'adapter lorsqu'elle subit déjà des températures de 50°C à l'ombre? Comment lui demander de s'adapter lorsqu'elle est l'une des plus pauvres du monde? La situation du Burkina Faso n'est guère plus enviable, avec des températures presque aussi élevées, un climat aussi sec et un indice de développement humain semblable, c'est à dire catastrophique. Tristement, les experts nous apprennent que ce sont les pays les plus pauvres qui risquent le plus d'être affectés par les changements climatiques. Cette journée a quelque chose de représentatif. C'est notre bonne qui en subira les désagréments. Nous nous contenterons de manger des sandwich pour lui laisser le temps de tout nettoyer. Nous avons une marge de manoeuvre. Pas la population locale. Vu la dureté du quotidien, pour verser ce nouveau tribut, elle devra puiser dans l'essentiel.
Depuis la publication de ce message, le New York Times a publié un article repris par le Courrier international, en mai 2010, faisant état de nouvelles famines dues à la sécheresse au Niger. Des familles traversent la frontière du Nigéria, plus au sud, pour s'y réfugier. On mentionne que dans les états du nord du Nigéria, les mères de familles déracinées passent de porte en porte pour demander de la nourriture. La famine précédante au Niger remonte à 2005.
Je me lève et me dirige vers le salon. Oui. C'est bien le ciel... Comprenons-nous bien: il n'est pas légèrement teinté. La coloration est profonde, intense. La couleur de la lumière extérieure contraste de façon étonnante avec celle des tubes fluorescents de la maison. On pourrait penser qu'elle rappelle celle d'un lever de soleil sur la plage. Nullement. En effet, la couleur ne surgit d'aucune direction. Au contraire, c'est vers l'horizon que la couleur diminue d'intensité. Non! Cette couleur-là est due à la poussière. La poussière orange du Burkina, fine et facilement soulevée par le vent. Le ciel en est chargé, suite aux vents intenses de la nuit dernière. Je retourne dans la chambre. Mon épouse est réveillée, mais elle n'a pas encore ouvert les yeux. "Le ciel est orangé", lui dis-je platement. Elle s'approche de la fenêtre et pousse un cri de surprise.
-Est-ce que tu as déjà vu ça? (mon épouse est Nigérienne d'origine, un pays frontalier du Burkina Faso)
-Non...
Bien sûr, il y a l'Harmattan, un vent venu du Sahel, chargé de poussière, qui se lève au mois de février. Mais il n'a jamais changé la couleur du ciel depuis mon arrivée, il y a trois mois.
Je monte sur la terrasse du toit pour prendre une photo. Rien à faire: mon appareil, automatique, corrige la lumière ambiante. Je redescends.
-Marcel dit qu'il n'a jamais vu ça, me dit ma femme.
Marcel est notre gardien de nuit. Il est burkinabé. Quand on se lève, il s'apprête à partir.
Le jour précédant, on avait suspecté la bonne de ne pas avoir fait son travail: les planchers étaient poussiéreux. On comprend maintenant que le phénomène avait déjà commencé. Ce matin, la poussière est partout. On dirait une maison inoccupée, qu'on aurait laissée toutes fenêtres ouvertes. Pourtant, j'avais fermé la plupart des fenêtres cette nuit, réveillé par le vent qui les secouait. Maintenant, nous évitons de marcher pieds nus. Nous laissons des traces de pas au gré de nos déplacements, plus ou moins visibles selon les endroits. Intérieurement, je plains la bonne qui devra passer la journée à nettoyer. La température nous offre une autre surprise, bienvenue celle-là. Il fait presque frais. On est loin des 48 °C à l'ombre d'il y a quelques jours.
Nous cherchons une explication. Ma femme me raconte qu'il y a parfois un vent d'Asie, chargé de poussière, qui s'abat vers l'Afrique. C'est ce qu'elle a vu à la télévision. De mon côté, je touve étrange de songer à un phénomène venu d'ailleurs quand on trouve toute la poussière du monde ici. Dans tous les cas, le caractère inédit du phénomène laisse croire à une autre manifestation des changements climatiques. Les Burkinabés eux-mêmes disent voir maintenant des choses qu'ils ne voyaient pas avant, comme de la pluie en décembre.
Mon épouse me raconte qu'au Niger, le fleuve du même nom s'assèche de plus en plus depuis quelques années. Elle craint éventuellement que le pays ne cesse tout simplement d'exister si les températures continuent d'augmenter. En effet, comment demander à une population de s'adapter lorsqu'elle subit déjà des températures de 50°C à l'ombre? Comment lui demander de s'adapter lorsqu'elle est l'une des plus pauvres du monde? La situation du Burkina Faso n'est guère plus enviable, avec des températures presque aussi élevées, un climat aussi sec et un indice de développement humain semblable, c'est à dire catastrophique. Tristement, les experts nous apprennent que ce sont les pays les plus pauvres qui risquent le plus d'être affectés par les changements climatiques. Cette journée a quelque chose de représentatif. C'est notre bonne qui en subira les désagréments. Nous nous contenterons de manger des sandwich pour lui laisser le temps de tout nettoyer. Nous avons une marge de manoeuvre. Pas la population locale. Vu la dureté du quotidien, pour verser ce nouveau tribut, elle devra puiser dans l'essentiel.
Depuis la publication de ce message, le New York Times a publié un article repris par le Courrier international, en mai 2010, faisant état de nouvelles famines dues à la sécheresse au Niger. Des familles traversent la frontière du Nigéria, plus au sud, pour s'y réfugier. On mentionne que dans les états du nord du Nigéria, les mères de familles déracinées passent de porte en porte pour demander de la nourriture. La famine précédante au Niger remonte à 2005.
mercredi 21 avril 2010
A tombeau ouvert

La documentation fournie par l'organisme de coopération internationale le mentionnait clairement: la principale cause de décès pour les coopérants à l'étranger, c'est la route. Une fois sur place, on comprend.
Tout de suite à l'arrivée, on est frappé par le caractère un peu aléatoire de la route: les voitures roulent surtout à droite. En fait, il semble que les motos n'aient pas le même statut que les voitures. Elles se rangent à droite tandis que les voitures, plus rapides, les contournent par la gauche, en faisant parfois de très grandes embardées. Les véhicules à deux roues sont largement majoritaires mais ce sont surtout des mobylettes. Sans doute ne peuvent-elles pas atteindre la même vitesse que les voitures. Elles-mêmes ne dépassent que rarement les 60 km/h. C'est bien la seule chose qui diminue les risques.
On notera qu'il y a deux genres de voiture: les taxis, toujours en vert au Burkina Faso (blancs au Niger) et presque tous dans un état lamentable, et les voitures des particuliers, la plupart du temps dans un bien meilleur état. En effet, lorsqu'on a assez d'argent ici pour ne pas rouler à moto, on a assez d'argent pour entretenir une voiture. En fait, il ne faut pas un sens de l'observation bien aiguisé pour se rendre compte que les compagnies de taxi achètent les véhicules dont les particuliers veulent se défaire. C'est particulièrement vrai des Mercedes, la voiture de luxe de loin la plus prisée chez les Burkinabés fortunés. Les veilles Mercedes repeintes en vert et transformées en taxi sont légions. Peut-être la fiabilité du moteur la rend-t-elle attrayante? Au Burkina Faso, une voiture roule tant et aussi longtemps qu'il l'est mécaniquement possible. Ainsi, il n'y a rien d'exceptionel à monter dans un taxi dont le tableau de bord est complètement déformé par la chaleur (si on peut encore tourner le volant), dont le pare-brise est craquelé comme une immense toile d'araignée (si le chauffeur peut voir devant lui) ou dont certaines pièces plus "cosmétiques" sont absentes, comme les parois intérieures des portières, laissant ainsi voir les mécanismes qui s'y trouvent (ça n'empêche pas le taxi de rouler). J'ai dû faire repriser des pantalons parce qu'un ressort sortait du siège pour venir me piquer la fesse à chaque fois que je m'enfonçais trop confortablement. J'ai aussi eu à faire circuler une manivelle entre les passagers pour que quelqu'un puisse remonter sa fenêtre. Le chauffeur gardait la précieuse manivelle sur le tableau de bord jusqu'à la prochaine utilisation.
J'ai une fois constaté dans un taxi qu'il n'y avait de rétroviseur ni gauche, ni à droite. J'ai fait part de mon observation au chauffeur.
-Moi, je travaille avec ça, répondit-il. Et celui-ci, de pointer l'endroit où aurait dû se trouver un rétroviseur central!
-Mais, répondis-je, il n'y en a pas!!!
J'ai renoncé, peu après, à tenter de comprendre la logique de mon interlocuteur...
Un chauffeur de taxi m'a appris récemment que pour minimiser les coûts de carburant, certains taxis ici fonctionnent au gaz. En effet, le gaz naturel est ici bien plus abordable que l'essence. Le taximan exprimait une certaine inquiétude, pas très africaine, relativement à la sécurité de ces véhicules.
-Comme il fait chaud, en cas d'accident, ça peut être dangereux en raison des bouteilles de gaz.
-C'est certainement pensé en conséquence, lui répondis-je.
-Non! C'est bricolé maison.
-...
-Les gens les modifient eux-mêmes. ça se fait surtout avec la Peugeot 305.
-De l'extérieur, est-ce qu'on peut dire que le taxi est au gaz?
-Non, il faut ouvrir le coffre pour voir s'il y a des bouteilles.
-Peugeot 305, vous dites?
Les accidents avec les motos sont ici très courants. C'est tellement vrai qu'un chauffeur de taxi m'a dit que si on ne voyait pas d'accidents de motos dans les rues, on n'était pas à Ouagadougou! Les Burkinabés sont bien conscients du danger de circuler à moto. La plupart n'ont cependant pas les moyens de se payer un véhicule à quatre roues. Ils se donneraient plus de chance s'ils circulaient avec un casque. En effet, seule une infime minorité porte le casque. Il convient de mentionner que même les Blancs qui se trouvent de passage n'en portent pas. L'explication se trouve peut-être dans la chaleur du climat, mais j'en doute. Après tout, les motocyclistes ont la vitesse du vent pour se refroidir. Une meilleure explication se trouve probablement dans le manque de visibilité que le casque entraîne. Quand tout le monde se faufile, la vision périphérique est d'une importance vitale. Un bon matin, à bord d'un taxi, je fis part de ces réflexions à mon épouse. Je me disais qu'une campagne de sensibilisation au port du casque serait sans doute une bonne idée de projet pour un coopérant. Le chauffeur, qui écoutait notre conversation, nous dit que le gouvernement avait tenté de rendre le port du casque obligatoire il y a quelques années. Toute personne circulant sans casque se serait vue imposer une amende. Le véhicule aurait pu être saisi. L'initiative avait entraîné un tel mécontentement qu'il avait dégénéré en émeutes. Les gens avaient fait brûler des pneus dans les rues et on avait vandalisé des feux de signalisation! Le coût à défrayer pour l'achat d'un casque aurait été la principale raison du soulèvement selon notre chauffeur. Pour être honnête, on observe ici une insouciance généralisée pour la sécurité. La vie en Afrique est précaire et l'Africain apprend à s'y résigner. Et puis, la sécurité coûte cher. Aussi, il n'est pas rare de voir un taxi rouler à la brunante les phares éteints, pour les économiser. Je ne me gêne pas pour leur demander de les allumer. Certaines motos roulent même la nuit, sans aucun phare. En Afrique, il n'est pas recommandé d'être sourd...
Comme si tout cela n'était pas assez, j'ai eu une étrange vision, il y a quelques jours à Ouagadougou: un enfant d'au plus 11 ou 12 ans, qui faisait la circulation à une intersection! Il faut savoir que le jeune garçon était sans doute un de ces vendeurs de cartes, celles qu'on achète pour ajouter des crédits sur son téléphone cellulaire. Ceux-ci longent les rues et attendent les automobilistes aux feux de circulation. Ils espèrent faire une vente pendant que l'automobiliste attend le feu vert. Ces jeunes vendeurs ont eu l'initiative il y quelque temps de s'acheter des sifflets de et de faire eux-mêmes la circulation en cas de panne d'électricité, très fréquentes à Ouagadougou cette année. Notre agent de la circulation en herbe était simplement un peu plus jeune que la plupart de ses confrères... Notre chauffeur de taxi ne semblait pas surpris de la scène.
-Mais est-ce que les gens lui obéissent?, demandai-je, ahurri.
Il se contenta alors de faire un geste qui voulait dire "Tu vois comme moi!".
Tout de suite à l'arrivée, on est frappé par le caractère un peu aléatoire de la route: les voitures roulent surtout à droite. En fait, il semble que les motos n'aient pas le même statut que les voitures. Elles se rangent à droite tandis que les voitures, plus rapides, les contournent par la gauche, en faisant parfois de très grandes embardées. Les véhicules à deux roues sont largement majoritaires mais ce sont surtout des mobylettes. Sans doute ne peuvent-elles pas atteindre la même vitesse que les voitures. Elles-mêmes ne dépassent que rarement les 60 km/h. C'est bien la seule chose qui diminue les risques.
On notera qu'il y a deux genres de voiture: les taxis, toujours en vert au Burkina Faso (blancs au Niger) et presque tous dans un état lamentable, et les voitures des particuliers, la plupart du temps dans un bien meilleur état. En effet, lorsqu'on a assez d'argent ici pour ne pas rouler à moto, on a assez d'argent pour entretenir une voiture. En fait, il ne faut pas un sens de l'observation bien aiguisé pour se rendre compte que les compagnies de taxi achètent les véhicules dont les particuliers veulent se défaire. C'est particulièrement vrai des Mercedes, la voiture de luxe de loin la plus prisée chez les Burkinabés fortunés. Les veilles Mercedes repeintes en vert et transformées en taxi sont légions. Peut-être la fiabilité du moteur la rend-t-elle attrayante? Au Burkina Faso, une voiture roule tant et aussi longtemps qu'il l'est mécaniquement possible. Ainsi, il n'y a rien d'exceptionel à monter dans un taxi dont le tableau de bord est complètement déformé par la chaleur (si on peut encore tourner le volant), dont le pare-brise est craquelé comme une immense toile d'araignée (si le chauffeur peut voir devant lui) ou dont certaines pièces plus "cosmétiques" sont absentes, comme les parois intérieures des portières, laissant ainsi voir les mécanismes qui s'y trouvent (ça n'empêche pas le taxi de rouler). J'ai dû faire repriser des pantalons parce qu'un ressort sortait du siège pour venir me piquer la fesse à chaque fois que je m'enfonçais trop confortablement. J'ai aussi eu à faire circuler une manivelle entre les passagers pour que quelqu'un puisse remonter sa fenêtre. Le chauffeur gardait la précieuse manivelle sur le tableau de bord jusqu'à la prochaine utilisation.
J'ai une fois constaté dans un taxi qu'il n'y avait de rétroviseur ni gauche, ni à droite. J'ai fait part de mon observation au chauffeur.
-Moi, je travaille avec ça, répondit-il. Et celui-ci, de pointer l'endroit où aurait dû se trouver un rétroviseur central!
-Mais, répondis-je, il n'y en a pas!!!
J'ai renoncé, peu après, à tenter de comprendre la logique de mon interlocuteur...
Un chauffeur de taxi m'a appris récemment que pour minimiser les coûts de carburant, certains taxis ici fonctionnent au gaz. En effet, le gaz naturel est ici bien plus abordable que l'essence. Le taximan exprimait une certaine inquiétude, pas très africaine, relativement à la sécurité de ces véhicules.
-Comme il fait chaud, en cas d'accident, ça peut être dangereux en raison des bouteilles de gaz.
-C'est certainement pensé en conséquence, lui répondis-je.
-Non! C'est bricolé maison.
-...
-Les gens les modifient eux-mêmes. ça se fait surtout avec la Peugeot 305.
-De l'extérieur, est-ce qu'on peut dire que le taxi est au gaz?
-Non, il faut ouvrir le coffre pour voir s'il y a des bouteilles.
-Peugeot 305, vous dites?
Les accidents avec les motos sont ici très courants. C'est tellement vrai qu'un chauffeur de taxi m'a dit que si on ne voyait pas d'accidents de motos dans les rues, on n'était pas à Ouagadougou! Les Burkinabés sont bien conscients du danger de circuler à moto. La plupart n'ont cependant pas les moyens de se payer un véhicule à quatre roues. Ils se donneraient plus de chance s'ils circulaient avec un casque. En effet, seule une infime minorité porte le casque. Il convient de mentionner que même les Blancs qui se trouvent de passage n'en portent pas. L'explication se trouve peut-être dans la chaleur du climat, mais j'en doute. Après tout, les motocyclistes ont la vitesse du vent pour se refroidir. Une meilleure explication se trouve probablement dans le manque de visibilité que le casque entraîne. Quand tout le monde se faufile, la vision périphérique est d'une importance vitale. Un bon matin, à bord d'un taxi, je fis part de ces réflexions à mon épouse. Je me disais qu'une campagne de sensibilisation au port du casque serait sans doute une bonne idée de projet pour un coopérant. Le chauffeur, qui écoutait notre conversation, nous dit que le gouvernement avait tenté de rendre le port du casque obligatoire il y a quelques années. Toute personne circulant sans casque se serait vue imposer une amende. Le véhicule aurait pu être saisi. L'initiative avait entraîné un tel mécontentement qu'il avait dégénéré en émeutes. Les gens avaient fait brûler des pneus dans les rues et on avait vandalisé des feux de signalisation! Le coût à défrayer pour l'achat d'un casque aurait été la principale raison du soulèvement selon notre chauffeur. Pour être honnête, on observe ici une insouciance généralisée pour la sécurité. La vie en Afrique est précaire et l'Africain apprend à s'y résigner. Et puis, la sécurité coûte cher. Aussi, il n'est pas rare de voir un taxi rouler à la brunante les phares éteints, pour les économiser. Je ne me gêne pas pour leur demander de les allumer. Certaines motos roulent même la nuit, sans aucun phare. En Afrique, il n'est pas recommandé d'être sourd...
Comme si tout cela n'était pas assez, j'ai eu une étrange vision, il y a quelques jours à Ouagadougou: un enfant d'au plus 11 ou 12 ans, qui faisait la circulation à une intersection! Il faut savoir que le jeune garçon était sans doute un de ces vendeurs de cartes, celles qu'on achète pour ajouter des crédits sur son téléphone cellulaire. Ceux-ci longent les rues et attendent les automobilistes aux feux de circulation. Ils espèrent faire une vente pendant que l'automobiliste attend le feu vert. Ces jeunes vendeurs ont eu l'initiative il y quelque temps de s'acheter des sifflets de et de faire eux-mêmes la circulation en cas de panne d'électricité, très fréquentes à Ouagadougou cette année. Notre agent de la circulation en herbe était simplement un peu plus jeune que la plupart de ses confrères... Notre chauffeur de taxi ne semblait pas surpris de la scène.
-Mais est-ce que les gens lui obéissent?, demandai-je, ahurri.
Il se contenta alors de faire un geste qui voulait dire "Tu vois comme moi!".
lundi 22 février 2010
La mise à mort d'un rat
La scène se déroule hier, dans la cour de notre maison. J'entends ma femme demander au gardien:"Un autre?" Sa voix trahit son excitation. Je comprends immédiatement qu'il s'agit d'un rat. Si la capture se confirme, il s'agira du quatrième en trois jours.
Nous avons en effet découvert qu'une colonie de rats vit entre les murs de notre cour (en Afrique, comme en Europe, la cour est emmurée). Nous venons d'acheter des pigeons à junior, aussi, nous n'avons nulle envie de les rerouver bouffés par les rats. A dire vrai, nous avions peut-être atteint le point de saturation au moment d'en voir un, la nuit, qui grimpait à un arbre, en face de la fenêtre du salon. Nous avons donc confié le problème à notre gardien de nuit (en Afrique, quand on vit selon les normes de la classe moyenne occidentale, il faut impérativement un gardien de nuit). Celui-ci a donc loué un piège, qui consiste essentiellement en une cage faite de treillis métalliques, formant une boîte rectangulaire. La cage est un peu plus longue qu'une boîte à chaussures. La seule ouverture s'obstrue d'une plaque de métal qui tombe en place lorsque le rat touche un appât.
Je me dépêche de sortir, devancé par junior. La bête est là, prise au piège. Nous sommes quatre maintenant à surplomber la cage et à observer cette nouvelle capture. Un rat, comme les autres avant lui, si ce n'est que celui-ci est plus élancé. "Il est plus jeune", fait observer mon épouse. Sa taille indique par contre qu'il s'agit bien d'un adulte. Le rat nous regarde en retour, avec ses yeux noirs, d'insondables minuscules petites billes. Son calme n'est qu'apparent. Il s'élance en un éclair contre le fond de la cage. Bang! Mon épouse et moi sursautons. Instinctivent, je recule la tête. Mon épouse a fait deux pas vers l'arrière. C'est là qu'on devine l'angoisse de l'animal. Ce n'est pas vers la porte qu'il a foncé, mais vers l'autre extrémité de la cage, où le treillis laisse entrevoir la liberté. La bête se retourne ensuite pour chercher une issue ailleurs. Après quelques instants, elle fonce à nouveau vers le fond de la cage. Et bang! C'est comme si le rat alterne entre réflexion et action, entre analyse et panique. Mais jusque là, il n'y avait pas encore urgence pour la victime. Le gardien prend alors un bâton, dont l'extrémité est taillée en pointe, et il l'introduit entre les mailles de la cage. Il attend que l'animal soit bien positionné, puis il tente de le lui enfoncer. Mon épouse somme au gardien de lui laisser le temps de quitter la scène. C'est l'affaire d'une seconde. Puis, le gardien reprend son manège. A chaque fois que le pieux s'abat sur lui, l'animal roule sur lui-même. La parade fonctionne: le bâton a glissé sur son dos. Après quelques tentatives, le gardien change de stratégie. Une fois la bête distraite par le bâton, il ouvre la porte de la cage, saisit la queue de l'animal et le soulève dans les airs. L'homme n'en est pas à sa première capture. L'animal se balance au bout de sa queue pour tenter de reprendre une position moins vulnérable. En vain. Le gardien lève le bâton à la hauteur de l'animal. Le coup devra être franc, précis. Tac! Tac! Tac! Trois coups en pleine tête. L'animal semble bouger encore. Pourtant, le gardien le laisse tomber. L'animal ne fuit pas. Il n'est pris que de quelques derniers soubresauts. Finalement, d'un coup de pied, il envoie la bête voler au pied d'un arbre, où il restera jusqu'au lendemain matin. Le corps de l'animal apportera un peu de viande à la famille du gardien, comme pour les autres spécimens avant lui.
La scène a duré quatre ou cinq minutes, peut-être dix tout au plus. Je n'en ai pas perdu une seconde! L'adrénaline de la bête qui luttait pour sa vie m'habite encore, plusieurs minutes après. Lors des trois premières captures, j'avais à peine osé regarder. Cette fois, je dois l'admettre, j'avais apprécié le spectacle, pris d'une fascination macabre. J'avais même ignoré ma femme qui m'enjoignait de venir observer une planète, visible dans le firmament ce soir-là.
Elle et moi, nous avions déjà discuté de la fascination de l'être humain pour la violence. Celle qu'on retrouve chez les enfants qui font cercle autour de deux camarades qui se battent. Depuis mon arrivée en Afrique, j'avais dit à ma femme à plusieurs occasions comment les films américains me manquaient, moi qui ai toujours préféré le cinéma d'auteur. J'étais tombé il y a quelques jours sur la fin du film Le Prédateur, à la télévision locale. Le film met en vedette Arnold Schwarzeinegger. Voilà qui en dit assez long sur le genre. Pourtant, le film m'avait donné un véritable moment de grâce, au milieu des trop nombreux vidéoclips des vedettes locales et des téléromans indiens et latino-américains mal traduits.
Etait-ce la manifestation d'une dépendance aux scènes de violence? Peut-être que comme dans la Rome ancienne, la pression des inégalités sociales doit trouver un exhutoire dans une mise en scène de la violence. Peut importe la raison. Comme il était bon, pour moi ou un proche, de ne pas partager le sort de cet animal. Comme il était appaisant d'avoir vu la mort de si près et puis, d'aller se coucher en se disant que ce n'était qu'un film, que ce n'était qu'un rat...
Nous avons en effet découvert qu'une colonie de rats vit entre les murs de notre cour (en Afrique, comme en Europe, la cour est emmurée). Nous venons d'acheter des pigeons à junior, aussi, nous n'avons nulle envie de les rerouver bouffés par les rats. A dire vrai, nous avions peut-être atteint le point de saturation au moment d'en voir un, la nuit, qui grimpait à un arbre, en face de la fenêtre du salon. Nous avons donc confié le problème à notre gardien de nuit (en Afrique, quand on vit selon les normes de la classe moyenne occidentale, il faut impérativement un gardien de nuit). Celui-ci a donc loué un piège, qui consiste essentiellement en une cage faite de treillis métalliques, formant une boîte rectangulaire. La cage est un peu plus longue qu'une boîte à chaussures. La seule ouverture s'obstrue d'une plaque de métal qui tombe en place lorsque le rat touche un appât.
Je me dépêche de sortir, devancé par junior. La bête est là, prise au piège. Nous sommes quatre maintenant à surplomber la cage et à observer cette nouvelle capture. Un rat, comme les autres avant lui, si ce n'est que celui-ci est plus élancé. "Il est plus jeune", fait observer mon épouse. Sa taille indique par contre qu'il s'agit bien d'un adulte. Le rat nous regarde en retour, avec ses yeux noirs, d'insondables minuscules petites billes. Son calme n'est qu'apparent. Il s'élance en un éclair contre le fond de la cage. Bang! Mon épouse et moi sursautons. Instinctivent, je recule la tête. Mon épouse a fait deux pas vers l'arrière. C'est là qu'on devine l'angoisse de l'animal. Ce n'est pas vers la porte qu'il a foncé, mais vers l'autre extrémité de la cage, où le treillis laisse entrevoir la liberté. La bête se retourne ensuite pour chercher une issue ailleurs. Après quelques instants, elle fonce à nouveau vers le fond de la cage. Et bang! C'est comme si le rat alterne entre réflexion et action, entre analyse et panique. Mais jusque là, il n'y avait pas encore urgence pour la victime. Le gardien prend alors un bâton, dont l'extrémité est taillée en pointe, et il l'introduit entre les mailles de la cage. Il attend que l'animal soit bien positionné, puis il tente de le lui enfoncer. Mon épouse somme au gardien de lui laisser le temps de quitter la scène. C'est l'affaire d'une seconde. Puis, le gardien reprend son manège. A chaque fois que le pieux s'abat sur lui, l'animal roule sur lui-même. La parade fonctionne: le bâton a glissé sur son dos. Après quelques tentatives, le gardien change de stratégie. Une fois la bête distraite par le bâton, il ouvre la porte de la cage, saisit la queue de l'animal et le soulève dans les airs. L'homme n'en est pas à sa première capture. L'animal se balance au bout de sa queue pour tenter de reprendre une position moins vulnérable. En vain. Le gardien lève le bâton à la hauteur de l'animal. Le coup devra être franc, précis. Tac! Tac! Tac! Trois coups en pleine tête. L'animal semble bouger encore. Pourtant, le gardien le laisse tomber. L'animal ne fuit pas. Il n'est pris que de quelques derniers soubresauts. Finalement, d'un coup de pied, il envoie la bête voler au pied d'un arbre, où il restera jusqu'au lendemain matin. Le corps de l'animal apportera un peu de viande à la famille du gardien, comme pour les autres spécimens avant lui.
La scène a duré quatre ou cinq minutes, peut-être dix tout au plus. Je n'en ai pas perdu une seconde! L'adrénaline de la bête qui luttait pour sa vie m'habite encore, plusieurs minutes après. Lors des trois premières captures, j'avais à peine osé regarder. Cette fois, je dois l'admettre, j'avais apprécié le spectacle, pris d'une fascination macabre. J'avais même ignoré ma femme qui m'enjoignait de venir observer une planète, visible dans le firmament ce soir-là.
Elle et moi, nous avions déjà discuté de la fascination de l'être humain pour la violence. Celle qu'on retrouve chez les enfants qui font cercle autour de deux camarades qui se battent. Depuis mon arrivée en Afrique, j'avais dit à ma femme à plusieurs occasions comment les films américains me manquaient, moi qui ai toujours préféré le cinéma d'auteur. J'étais tombé il y a quelques jours sur la fin du film Le Prédateur, à la télévision locale. Le film met en vedette Arnold Schwarzeinegger. Voilà qui en dit assez long sur le genre. Pourtant, le film m'avait donné un véritable moment de grâce, au milieu des trop nombreux vidéoclips des vedettes locales et des téléromans indiens et latino-américains mal traduits.
Etait-ce la manifestation d'une dépendance aux scènes de violence? Peut-être que comme dans la Rome ancienne, la pression des inégalités sociales doit trouver un exhutoire dans une mise en scène de la violence. Peut importe la raison. Comme il était bon, pour moi ou un proche, de ne pas partager le sort de cet animal. Comme il était appaisant d'avoir vu la mort de si près et puis, d'aller se coucher en se disant que ce n'était qu'un film, que ce n'était qu'un rat...
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