La scène se déroule hier, dans la cour de notre maison. J'entends ma femme demander au gardien:"Un autre?" Sa voix trahit son excitation. Je comprends immédiatement qu'il s'agit d'un rat. Si la capture se confirme, il s'agira du quatrième en trois jours.
Nous avons en effet découvert qu'une colonie de rats vit entre les murs de notre cour (en Afrique, comme en Europe, la cour est emmurée). Nous venons d'acheter des pigeons à junior, aussi, nous n'avons nulle envie de les rerouver bouffés par les rats. A dire vrai, nous avions peut-être atteint le point de saturation au moment d'en voir un, la nuit, qui grimpait à un arbre, en face de la fenêtre du salon. Nous avons donc confié le problème à notre gardien de nuit (en Afrique, quand on vit selon les normes de la classe moyenne occidentale, il faut impérativement un gardien de nuit). Celui-ci a donc loué un piège, qui consiste essentiellement en une cage faite de treillis métalliques, formant une boîte rectangulaire. La cage est un peu plus longue qu'une boîte à chaussures. La seule ouverture s'obstrue d'une plaque de métal qui tombe en place lorsque le rat touche un appât.
Je me dépêche de sortir, devancé par junior. La bête est là, prise au piège. Nous sommes quatre maintenant à surplomber la cage et à observer cette nouvelle capture. Un rat, comme les autres avant lui, si ce n'est que celui-ci est plus élancé. "Il est plus jeune", fait observer mon épouse. Sa taille indique par contre qu'il s'agit bien d'un adulte. Le rat nous regarde en retour, avec ses yeux noirs, d'insondables minuscules petites billes. Son calme n'est qu'apparent. Il s'élance en un éclair contre le fond de la cage. Bang! Mon épouse et moi sursautons. Instinctivent, je recule la tête. Mon épouse a fait deux pas vers l'arrière. C'est là qu'on devine l'angoisse de l'animal. Ce n'est pas vers la porte qu'il a foncé, mais vers l'autre extrémité de la cage, où le treillis laisse entrevoir la liberté. La bête se retourne ensuite pour chercher une issue ailleurs. Après quelques instants, elle fonce à nouveau vers le fond de la cage. Et bang! C'est comme si le rat alterne entre réflexion et action, entre analyse et panique. Mais jusque là, il n'y avait pas encore urgence pour la victime. Le gardien prend alors un bâton, dont l'extrémité est taillée en pointe, et il l'introduit entre les mailles de la cage. Il attend que l'animal soit bien positionné, puis il tente de le lui enfoncer. Mon épouse somme au gardien de lui laisser le temps de quitter la scène. C'est l'affaire d'une seconde. Puis, le gardien reprend son manège. A chaque fois que le pieux s'abat sur lui, l'animal roule sur lui-même. La parade fonctionne: le bâton a glissé sur son dos. Après quelques tentatives, le gardien change de stratégie. Une fois la bête distraite par le bâton, il ouvre la porte de la cage, saisit la queue de l'animal et le soulève dans les airs. L'homme n'en est pas à sa première capture. L'animal se balance au bout de sa queue pour tenter de reprendre une position moins vulnérable. En vain. Le gardien lève le bâton à la hauteur de l'animal. Le coup devra être franc, précis. Tac! Tac! Tac! Trois coups en pleine tête. L'animal semble bouger encore. Pourtant, le gardien le laisse tomber. L'animal ne fuit pas. Il n'est pris que de quelques derniers soubresauts. Finalement, d'un coup de pied, il envoie la bête voler au pied d'un arbre, où il restera jusqu'au lendemain matin. Le corps de l'animal apportera un peu de viande à la famille du gardien, comme pour les autres spécimens avant lui.
La scène a duré quatre ou cinq minutes, peut-être dix tout au plus. Je n'en ai pas perdu une seconde! L'adrénaline de la bête qui luttait pour sa vie m'habite encore, plusieurs minutes après. Lors des trois premières captures, j'avais à peine osé regarder. Cette fois, je dois l'admettre, j'avais apprécié le spectacle, pris d'une fascination macabre. J'avais même ignoré ma femme qui m'enjoignait de venir observer une planète, visible dans le firmament ce soir-là.
Elle et moi, nous avions déjà discuté de la fascination de l'être humain pour la violence. Celle qu'on retrouve chez les enfants qui font cercle autour de deux camarades qui se battent. Depuis mon arrivée en Afrique, j'avais dit à ma femme à plusieurs occasions comment les films américains me manquaient, moi qui ai toujours préféré le cinéma d'auteur. J'étais tombé il y a quelques jours sur la fin du film Le Prédateur, à la télévision locale. Le film met en vedette Arnold Schwarzeinegger. Voilà qui en dit assez long sur le genre. Pourtant, le film m'avait donné un véritable moment de grâce, au milieu des trop nombreux vidéoclips des vedettes locales et des téléromans indiens et latino-américains mal traduits.
Etait-ce la manifestation d'une dépendance aux scènes de violence? Peut-être que comme dans la Rome ancienne, la pression des inégalités sociales doit trouver un exhutoire dans une mise en scène de la violence. Peut importe la raison. Comme il était bon, pour moi ou un proche, de ne pas partager le sort de cet animal. Comme il était appaisant d'avoir vu la mort de si près et puis, d'aller se coucher en se disant que ce n'était qu'un film, que ce n'était qu'un rat...
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Quelle belle description François !
RépondreSupprimeron a l'impresion de vivre l'évènement comme si on y était, avec les émotions et les pensées.
Nous avons hâte de lire la suite
Gérald et Ginette